Paris

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Grußworte des Vizepräsidenten des Conseil d’Etat

La fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes

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Introduction 30 septembre 2016

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Allocution de Jean-Marc Sauvé (*), vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le Président du Tribunal administratif régional de Lombardie, Président de l’association des juges administratifs allemands, italiens et français (AJAFIA), Messieurs les vice-présidents de l’AJAFIA, Mesdames et Messieurs les magistrats d’Allemagne, d’Autriche, d’Italie, du Luxembourg, et de Suisse, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs les avocats, Mesdames et Messieurs, Mes chers collègues, Je suis honoré de pouvoir ouvrir, dans cette belle salle de l’assemblée générale du Conseil d’Etat, les débats de ce colloque de l’association des juges administratifs allemands, italiens et français (AJAFIA) consacré aujourd’hui à la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes. Créée lors d’une première rencontre fondatrice à Weimar, en 1994, dans le but d’approfondir les liens entre juges administratifs allemands, italiens et français, l’AJAFIA a remarquablement contribué, depuis plus de deux décennies, au rythme de deux réunions par an, à faire vivre le dialogue des juges et à donner corps, au-delà des frontières et des différences linguistiques, à ce sentiment d’appartenance commune que ressentent aujourd’hui si fortement celles et ceux qui, où qu’ils soient et quelle que soit la juridiction à laquelle ils appartiennent, ont fait le choix de rendre la justice au service de l’Etat de droit en Europe. Au cours de son existence, les colloques thématiques de l’AJAFIA ont passé en revue les grandes questions relatives à l’office du juge administratif et à son rôle dans nos sociétés. Organisés avec le plus grand soin, sans pour autant négliger la dimension festive des rencontres, ils permettent aux participants de s’enrichir, à chaque fois davantage, de l’expérience de leurs collègues étrangers tout en mesurant à quel point, au-delà des différences observées dans les procédures et les techniques de jugement, ils partagent les mêmes principes et les mêmes valeurs et ils poursuivent les mêmes buts. La tenue d’un colloque dans l’enceinte du Conseil d’Etat relève, à vrai dire, de l’évidence tant le Conseil d’Etat s’est vigoureusement engagé dans une politique de coopération internationale et d’échanges, dont la participation à des associations régionales et mondiales, l’organisation de rencontres régulières bilatérales avec les juridictions administratives suprêmes des autres pays ou la traduction et la diffusion en plusieurs langues des décisions les plus marquantes de la Section du contentieux ne constituent que quelques exemples. Qu’il me soit, en particulier, permis de dire ici, à l’adresse de mes collègues allemands et italiens, toute la fierté et la joie que j’ai ressenties, à titre personnel, en prenant part, au cours de ces dernières années, à des évènements aussi prestigieux que la présentation, en 2015, aux côtés de mon homologue allemand, Klaus Rennert, d’un ouvrage de droit constitutionnel comparé, à la Faculté de droit de l’université Humboldt de Berlin, ou encore la célébration, en 2011, du 180ème anniversaire du Conseil d’Etat d’Italie, au Palais du Quirinal, en présence du Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, pour ne citer que deux illustrations des relations particulièrement étroites que nous entretenons. Le sujet de notre rencontre d’aujourd’hui, consacrée à la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes, est, une fois encore, l’occasion de croiser les regards et de confronter les expériences lors de débats qui permettront aussi de recueillir le point de vue de membres des juridictions autrichienne, luxembourgeoise et suisse. A une époque où la régulation économique est devenue une notion banale, presque galvaudée tant l’utilisation qui en est faite dépasse ce qu’elle entendait accomplir initialement, il est intéressant de remarquer que l’idée d’une action régulatrice des juridictions suprêmes n’est pas une nouveauté et a, d’ailleurs, précédé l’émergence de son pendant économique. Si la définition que l’on voudrait donner de la régulation économique se révèle vite complexe – et à laquelle je ne me risquerai pas au risque d’excéder très largement les limites de mon exposé – la régulation exercée par les juridictions administratives suprêmes désigne assez simplement la fonction, qui est la leur, « d’assurer l’ordre » dans la juridiction administrative à la tête de laquelle elles sont placées. Organisés en plusieurs niveaux de juridiction, parfois avec des juridictions spécialisées dès la première instance, parfois avec une spécialisation qui ne se fait qu’aux stades ultérieurs, les ordres juridictionnels administratifs sont complexes compte tenu de la multitude des juridictions qu’ils comprennent et des règles de compétence et de procédure qui régissent leurs relations. A cette complexité doit être opposée la simplicité d’un régulateur unique : la juridiction administrative suprême. C’est à elle qu’il revient de coordonner les juridictions et les actions au sein de l’ordre juridictionnel et d’assurer leur bon fonctionnement. Cette coordination est d’autant plus nécessaire qu’en Europe les juridictions administratives suprêmes n’exercent leur suprématie que sur une partie de l’ordre juridique national, ce dernier étant le plus souvent divisé en plusieurs ordres juridictionnels distincts : judiciaire, constitutionnel et administratif à tout le moins. Leur suprématie dans l’ordre juridictionnel administratif est cependant tout à fait réelle, dès lors qu’en relèvent, par la voie de l’appel ou de la cassation, l’ensemble des cours et des tribunaux composant cet édifice et qu’elles exercent, en conséquence, la fonction de régulation que cette multiplicité implique. C’est le cas du Conseil d’Etat français qui, depuis la loi du 24 mai 1872, « statue souverainement sur les recours en matière administrative » et devant lequel toutes les décisions juridictionnelles peuvent faire l’objet d’un recours en cassation. C’est aussi le cas du Conseil d’Etat italien ou de la Cour administrative fédérale d’Allemagne. Je commencerai ce propos liminaire en rappelant que les juridictions administratives suprêmes contribuent, par leur action, à réguler le fonctionnement de l’ordre juridictionnel à la tête duquel elles sont placées tout autant qu’à unifier le droit qu’elles appliquent (I). Je montrerai, ensuite, que dans cette fonction les juridictions administratives suprêmes sont confrontées à plusieurs défis qu’il leur appartient de relever (II).
I. La régulation de l’ordre juridictionnel par les juridictions administratives suprêmes. L’action régulatrice des juridictions administratives suprêmes est polymorphe et elle ne saurait être réduite à sa seule fonction d’unification du droit ou de gestion d’un ordre juridictionnel. Une juridiction suprême exerce tout à la fois un rôle juridictionnel, jurisprudentiel et institutionnel. A. Placées à la tête d’un ordre juridictionnel, les juridictions administratives suprêmes assurent sa régulation juridictionnelle (1) et institutionnelle (2). 1. Elles définissent d’abord les principes qui régissent l’organisation et les modalités de fonctionnement contentieuses de leur ordre. Ainsi, par leur jurisprudence, mais aussi par les orientations qu’elles définissent hors des prétoires, les juridictions administratives suprêmes précisent, dans le respect des lois et des règlements en vigueur, la procédure applicable devant elle et devant les juridictions inférieures. Il en est ainsi lorsque la juridiction administrative suprême détermine les modalités d’instruction des dossiers et l’étendue des pouvoirs des juges dans ce domaine, les modes d’administration de la preuve, mais aussi le rôle de chacun des membres de la juridiction, notamment pendant l’instruction des dossiers et lors de l’audience. Pour ne donner qu’un exemple concernant la juridiction administrative française, la jurisprudence du Conseil d’Etat a précisé qu’il appartenait au rapporteur public de faire connaître aux parties le sens de ses conclusions dans un délai raisonnable avant l’audience, avec un degré de précision suffisant pour que les parties puissent utilement préparer leurs observations. Elle a aussi déterminé les conditions dans lesquelles un rapporteur public pouvait modifier le sens de ses conclusions avant l’audience. Les juridictions administratives suprêmes ont également pour mission de déterminer la nature de l’office et l’étendue des pouvoirs des juges saisis de la légalité d’un acte administratif, par exemple lorsqu’il module dans le temps les effets d’une décision d’annulation ou lorsqu’il soulève d’office un moyen d’ordre public. 2. Les juridictions administratives suprêmes doivent aussi assurer un fonctionnement fluide de l’ordre juridictionnel administratif. Cette fonction est, là encore, assurée de multiples façons. Soucieuse d’éviter les conflits de compétences qui pourraient aboutir à un déni de justice, il appartient à la juridiction administrative suprême de régler la répartition des compétences entre juridictions et d’attribuer, le cas échéant, les affaires délicates. En France, le Conseil d’Etat assure ce pilotage et il a développé des méthodes de suivi des affaires et d’attribution des dossiers, notamment dans les cas où certains litiges soulevant des questions similaires sont susceptibles d’être portés devant plusieurs juridictions distinctes. Dans certains cas, la juridiction suprême peut aussi être chargée d’assurer la gestion du corps des magistrats et le fonctionnement matériel et logistique de l’ordre juridictionnel. C’est le modèle retenu, en France, pour la juridiction administrative, le secrétaire général du Conseil d’Etat assurant, sous l’autorité du vice-président et avec l’aide d’un Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), la gestion du corps des magistrats administratifs et, notamment, l’affectation des ressources humaines. B. Les juridictions administratives suprêmes assurent également un rôle de régulation jurisprudentielle. Evoquant la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes, il vient immédiatement à l’esprit la fonction d’unification et de mise en cohérence du droit qui leur incombe naturellement. Conséquence tout autant que motif de leur suprématie, cette unification du droit s’opère principalement par le contrôle de cassation qui permet aux juridictions administratives suprêmes de veiller à la régularité, à la cohérence et à la correction au regard du droit des décisions rendues par les juridictions administratives de premier ressort ou d’appel. Cette fonction est d’ailleurs la fonction commune à toutes les juridictions administratives suprêmes. [Elle n’est pas nécessairement la seule fonction des juridictions suprêmes – les Conseils d’Etat français et italien, mais aussi d’autres Conseils d’Etat non représentés aujourd’hui disposent également d’attributions consultatives – mais elle est le plus petit dénominateur commun.] Concentré sur des questions de droit et excluant de son orbite les questions de fait déjà appréciées en première instance et, le cas échéant, en appel, le juge de cassation assure la « conformité des jugements à la loi (…) et, par là-même, l’unité dans l’identification et l’interprétation des normes juridiques par les diverses juridictions ». Saisies en cassation, les juridictions administratives suprêmes tranchent les questions de principe et elles adaptent, le cas échéant, leurs solutions jurisprudentielles aux évolutions du contexte juridique qui les a fait naître. Une fois affirmées, ces solutions jurisprudentielles ont vocation à être appliquées par les juridictions de première instance et d’appel. En France, comme ailleurs en Europe, une certaine déférence de la part des tribunaux de première instance et d’appel suffit le plus souvent à assurer l’unité de la jurisprudence. Elle est moins hiérarchique que significative de l’attachement de tous, y compris au sein du Conseil d’Etat de ceux qui ne l’ont pas votée, à l’autorité de la jurisprudence du Conseil d’Etat : de ce point de vue, le Conseil d’Etat est la plus britannique des institutions françaises. Si le contrôle de cassation est l’outil privilégié de l’unification et de la mise en cohérence du droit, d’autres instruments permettent aux juridictions administratives suprêmes de trancher des questions de principe. En France, par exemple, la réforme de 1987 a instauré la possibilité pour les juridictions de première instance et d’appel de demander l’avis du Conseil d’Etat lorsqu’une affaire soulève « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». La réponse donnée par le Conseil d’Etat préfigure bien souvent la solution qu’il aurait adoptée s’il avait été saisi d’une telle affaire au contentieux et permet d’éclairer les juridictions inférieures sur la solution à adopter. [Les juridictions administratives suprêmes contribuent également à créer un cadre juridique clair et moderne dans lequel s’inscrit l’action de l’administration. Elles n’ont certes pas pour fonction de réguler l’action de l’administration au sens premier, mais, en assurant l’unité et la cohérence du droit, elles contribuent à définir le régime de l’action administrative. Il en est ainsi lorsque la jurisprudence administrative permet notamment de préciser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat ou le régime des actes administratifs.] La fonction de régulation des juridictions administratives suprêmes est essentielle, mais elle est confrontée à des défis majeurs au nombre desquels se trouve celui posé par le pluralisme juridique en Europe.
II. Les défis de la régulation de l’ordre juridictionnel et du droit. A. Les juridictions administratives suprêmes sont confrontées à un défi quantitatif et qualitatif qui les conduit à restreindre les conditions d’accès au juge suprême. Certaines cours sont confrontées à une augmentation significative du nombre d’affaires dont elles ont à connaître : c’est le cas de la juridiction administrative française avec une hausse continue des entrées depuis 25 ans. D’autres juridictions ne connaissent pas cette pression statistique car, pour des raisons tenant à la conception même de leur fonction de juge suprême, elles ont aussi mis en place des procédures de filtre des recours. Ce filtre leur permet de se focaliser sur quelques centaines d’affaires soulevant des questions de principe nouvelles ou qui, compte tenu d’une évolution juridique notable, permettent d’adapter le droit. L’existence d’une telle procédure d’admission des pourvois est essentielle pour garantir la fonction régulatrice des cours suprêmes qui doivent pouvoir se concentrer sur leur office de juge de cassation et s’épargner l’encombrement lié au traitement de trop nombreux dossiers sans intérêt juridique particulier. En France, devant le Conseil d’Etat, une telle procédure existe : la procédure d’admission du pourvoi en cassation qui permet de ne pas admettre les pourvois irrecevables ou qui ne sont fondés sur aucun moyen sérieux. D’autres juridictions européennes ont mis en place un filtre similaire, principalement fondé sur deux critères : un critère financier et l’importance de la question de droit à juger. Par exemple, l’Espagne a instauré un critère financier : à l’exception de certains contentieux, seuls les litiges dont le montant atteint 150 000 euros sont admis ; d’autres pays se fondent sur l’intérêt objectif de la question posée : ainsi, devant la Cour fédérale de justice d’Allemagne, seules les affaires soulevant une question de principe ou nécessitant une prise de position sur l’évolution du droit ou la garantie d’une jurisprudence unitaire sont admises ; au Royaume-Uni, un comité de trois juges examine les demandes de permission to appeal au regard de l’existence, ou non, d’un « point de droit d’importance publique générale ». B. Les juridictions administratives sont surtout confrontées au défi du pluralisme juridique. Dans une sphère géographique caractérisée par la diversité des normes et des juges et leur imbrication croissante, les juridictions administratives suprêmes doivent assurer une articulation claire, concertée et cohérente entre les systèmes juridiques nationaux et les ordres juridiques européens – celui de l’Union européenne et celui de la Convention européenne des droits de l’homme. S’agissant du droit de l’Union européenne, cette collaboration est institutionnalisée par la pratique des questions préjudicielles. Les juridictions administratives suprêmes européennes se sont pleinement saisies de cet outil et en font usage dès que l’affaire qui leur est soumise le justifie. Sous l’impulsion d’une jurisprudence du Conseil d’Etat français – dite de l’acte clair -, que la Cour de justice de l’Union s’est ensuite réappropriée, les juridictions suprêmes ne sont toutefois pas tenues de saisir la Cour de justice de l’Union lorsque la question posée ne soulève aucune difficulté sérieuse d’interprétation et ne « laisse place à aucun doute raisonnable ». S’agissant du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, le protocole 16 de la Convention, actuellement en cours de ratification, prévoit la possibilité pour les juridictions suprêmes des Etats parties d’adresser à la Cour une demande d’avis consultatif « sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ». Jusqu’à présent, l’absence de procédure formalisée n’a pas fait obstacle à une coopération harmonieuse entre la Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions administratives suprêmes ici représentées, notamment grâce au maniement mesuré, mais efficace, de la marge d’appréciation conférée aux Etats parties sur les questions de société ou mettant en cause des principes traditionnels ou historiques. Une même volonté de coopération se retrouve en droit de l’Union européenne avec l’application du principe de protection équivalente qui contribue à prévenir les contradictions éventuelles entre les garanties nationales et européennes des droits, en faisant primer sur une logique de hiérarchie des ordres juridiques celle de la nécessaire protection des droits fondamentaux. En témoigne en France la décision Arcelor du Conseil d’Etat par laquelle pour juger si un décret qui assure la transposition d’une directive précise et inconditionnelle méconnaît un principe de valeur constitutionnelle, le juge national doit d’abord rechercher si un principe similaire existe et se trouve effectivement protégé en droit de l’Union, auquel cas il lui revient de faire contrôler la conformité de la directive à ce principe. Si, en revanche, le principe constitutionnel invoqué ne fait pas l’objet d’une protection effective en droit de l’Union, le juge administratif accepte de contrôler directement la conformité du décret ou de l’ordonnance contesté à la Constitution. Cette solution est inspirée du raisonnement développé dans les décisions Solange de la cour constitutionnelle allemande. Veillant, chaque jour, par son contrôle de cassation, à la régularité et la cohérence des décisions rendues par les juges du fond et appelé, en tant que juge suprême, à garantir l’unité et l’intelligibilité de la jurisprudence qu’il façonne patiemment, le Conseil d’Etat français, qui assure aussi, depuis plus de vingt-cinq ans, la gestion des juridictions administratives de droit commun et du corps des magistrats administratifs, mesure parfaitement le sens et la portée de cette notion de régulation, comme le président Stirn, à qui je vais donner la parole dans un instant, ainsi que les autres intervenants de cette journée – que je remercie vivement de leur présence – vont le développer au sujet de leurs pays respectifs. Il ne me plus reste, à présent, qu’à vous souhaiter à toutes et à tous de profiter pleinement de cette journée, nourrie de débats et d’échanges qui promettent d’être passionnants, tout en formant le vœu que l’AJAFIA continue encore longtemps à contribuer, avec tout l’enthousiasme qu’on lui connaît, à la coopération entre les juridictions administratives.

(*) Texte écrit en collaboration avec Bruno Bachini, maître des requêtes au Conseil d’Etat, et Sarah Houllier, magistrat administratif. Den Text in der Original-Formatierung mit Fußnoten können Sie hier (PDF; 201 kB) herunterladen.

La fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes, Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat I/ Garantir la bonne administration de la justice A/ La compétence à l’intérieur de la juridiction administrative -réorientation des affaires vers le juge compétent -pouvoirs de désignation d’une juridiction dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice : impératifs d’impartialité, regroupement des affaires. Juradinfo. B/ Le filtrage des pourvois -questions partagée avec les différentes juridictions européennes -pas d’autorisation de pourvoi en France -mais procédure d’admission des pourvois en cassation -et filtrage des QPC vers le Conseil constitutionnel II/ Assurer par la jurisprudence à la fois l’unité du droit et les évolutions nécessaires A/ Unité et stabilité -cohérence de la jurisprudence. La troïka -procédure exceptionnelle de règlement de juge -demandes d’avis contentieux. L 113-1 du CJA B/ Evolutions nécessaires -pas de droit à une jurisprudence figée -hiérarchie des formations de jugement -dynamisme de la jurisprudence dans la période récente ; liens avec le droit européen

Pier Giorgio Lignani, LA FUNZIONE REGOLATRICE DELLE CORTI AMMINISTRATIVE SUPREME (ITALIA)

NOTA DELL’AUTORE: Questo scritto riproduce senza alcuna modifica l’intervento pronunciato al Convegno dell’associazione dei giudici amministrativi tedeschi, italiani e francesi (con la partecipazione anche di austriaci, svizzeri e lussemburghesi) il 30 settembre 2016, a Parigi, nell’aula magna del Conseil d’Etat. La particolarità dell’uditorio e i limiti di tempo hanno rese necessarie alcune semplificazioni ed omissioni. Così, nel parlare della distinzione fra la giurisdizione civile e quella amministrativa (riferite rispettivamente ai diritti e agli interessi), ho ritenuto superfluo, in quel contesto, parlare anche della giurisdizione esclusiva del g.a. e di altre giurisdizioni come quella contabile e quella tributaria. Parlando del sistema della giustizia amministrativa anteriormente alla riforma del 1971, ho taciuto delle giunte provinciali amministrative, benché queste fossero chiamate giurisdizionali (ma secondo me dovevano piuttosto annoverarsi fra i ricorsi gerarchici impropri, come potrei tentare di dimostrare ove mai esista qualcuno che abbia interesse per la questione).

1. Il ruolo del Consiglio di Stato italiano nella costruzione del sistema italiano del diritto amministrativo e della giurisdizione amministrativa è stato – storicamente parlando – del tutto particolare e in nessun modo paragonabile a quello svolto dalla Corte di Cassazione nella giurisdizione civile e penale. Da molti punti di vista, il Consiglio di Stato, nei primi cento anni della sua funzione giurisdizionale (dal 1889 al 1990) non si è limitato ad essere il garante della corretta applicazione della legge. Esso ha invece letteralmente creato il sistema concettuale del diritto amministrativo italiano, e con esso tutta la disciplina generale del procedimento amministrativo, degli atti amministrativi e della giustizia amministrativa. Questa è una storia che i colleghi italiani conoscono bene; ma forse non sarà inutile, anche per loro, ripercorrerla un poco prima di verificare quale sia oggi il ruolo del Consiglio di Stato come corte regolatrice, e come svolga questo suo compito.

2. Conviene innanzi tutto precisare che cosa s’intende in Italia per “diritto amministrativo” soggetto alla giurisdizione del Consiglio di Stato, e, dal 1971, dei Tribunali amministrativi regionali. Come sapete, lo Stato italiano si è formato nel 1861. L’unificazione delle leggi amministrative è stata fatta con una legge del 20 marzo 1865. Questa, fra l’altro, ha compiuto una scelta fondamentale quanto alla giurisdizione: tutte le controversie fra i cittadini e le autorità pubbliche sono state affidate al giudice ordinario (civile) ogni volta che si faccia questione di diritti soggettivi, anche se siano stati emanati provvedimenti dell’autorità amministrativa. Perciò, almeno in linea di principio, erano e sono rimesse al giudice civile tutte le controversie attinenti alla proprietà (salvo che vi sia stata una legittima procedura di espropriazione), a contratti, al risarcimento dei danni, alle obbligazioni in genere. In Italia non sarebbe stata concepibile una decisione come l’”arrêt Blanco” del 1873; quella che secondo alcuni studiosi anche italiani viene considerata l’atto di nascita del diritto amministrativo. E il sistema italiano, credo, non avrebbe suscitato le critiche dell’inglese Dicey. In effetti, tutti quei rapporti che, pur avendo come parte in causa una pubblica autorità, in Italia sono giudicati dal giudice civile, non vengono considerati propriamente rapporti di diritto amministrativo. Se la loro disciplina comporta qualche particolarità, si parla semmai di “diritto privato della pubblica amministrazione”, non di “diritto amministrativo”.

3. Se si esaminano i trattati intitolati al “diritto amministrativo”, pubblicati in Italia fino a tutto il secolo XIX, si constata che il loro contenuto è una descrizione dell’ordinamento della pubblica amministrazione (organizzazione, competenze e funzionamento delle autorità centrali e periferiche dello Stato e delle autorità degli enti locali autonomi) più la disciplina positiva di alcuni settori, come la contabilità pubblica, l’ordinamento del personale, i lavori pubblici, la normativa edilizia, e simili. Non troviamo in quei trattati alcun accenno alla disciplina generale dell’attività amministrativa ed ai requisiti di legittimità dei procedimenti e degli atti della pubblica amministrazione. Tanto meno alla teoria generale dell’atto amministrativo, della discrezionalità amministrativa e dell’interesse legittimo, ovvero a concetti come la motivazione, gli effetti del “silenzio” dell’amministrazione, l’”autotutela” (ossia il potere-dovere dell’autorità di correggere spontaneamente i propri atti). Tutti questi argomenti li troviamo invece esposti, in modo straordinariamente approfondito, nei manuali del secolo XX. Era forse questo l’effetto di qualche intervento del legislatore? No. Bisogna arrivare al 1990 per trovare una legge con la disciplina generale del procedimento amministrativo e del provvedimento amministrativo (legge 7 agosto 1990, n. 241). Questa legge non ha fatto altro che riprodurre (in modo sommario e secondo me non sempre felice né opportuno) concetti che ormai erano di comune dominio e si insegnavano in tutte le Università.

4. Da dove veniva tutto quel sistema di concetti? Dalla giurisprudenza del Consiglio di Stato, nei cento anni decorsi dalla legge del 1889 che istituiva la Quarta Sezione del Consiglio di Stato e con essa la sua funzione giurisdizionale (legge 31 marzo 1889, n. 5992). Funzione limitata – in coerenza con la scelta fatta dalla legge del 1865 – alle controversie nelle quali la posizione del privato ricorrente non si qualificasse come “diritto” ma solo come “interesse”. Il primo sforzo fu dunque quello di definire meglio gli interessi che potevano ottenere questo tipo di tutela (interessi legittimi) distinguendoli dagli interessi non protetti. Ma il secondo sforzo fu quello di individuare i vizi che rendevano illegittimo l’atto amministrativo, e ne comportavano l’annullamento. La legge si limitava a dire che gli atti amministrativi potevano essere annullati per «violazione di legge, incompetenza, o eccesso di potere». Ma che cos’era l’eccesso di potere?

5. L’espressione «eccesso di potere» non era nuova, ed era ripresa dalla legislazione francese. Valeva, all’incirca, come incompetenza. Ma il Consiglio di Stato italiano preferì darle un significato diverso. In una decisione del 7 gennaio 1892, la Quarta Sezione osservava che i fatti non erano smentiti; e che in questa situazione «l’apprezzamento che il Governo del Re ne ha fatto, e ha messo alla base del suo provvedimento, non contiene nulla d’illogico e di irrazionale o di contrario allo spirito della legge per riconoscere nel provvedimento medesimo un eccesso di potere». Che è come dire: pur quando non vi sia una vera e propria violazione di legge – e cioè il provvedimento si mantiene formalmente entro i confini assegnati dalla legge – esso è viziato da «eccesso di potere» se contiene qualcosa di illogico, o di irrazionale, o di contrario allo spirito della legge. Partendo da questa prima intuizione, il Consiglio di Stato, ha elaborato ed approfondito il concetto di «eccesso di potere» con gli strumenti della logica, della razionalità e del rispetto dello “spirito della legge”. Ossia tutto ciò che nella legge non è scritto, ma si desume dalla coerenza del sistema. Ed ha letteralmente creato la disciplina generale del provvedimento amministrativo. Così, è stato detto che se l’autorità dispone in senso contrario ai propri precedenti, ovvero ad un parere non vincolante, ovvero alle istruzioni non vincolanti di un’autorità superiore, commette un «eccesso di potere». A meno che, in ciascuno di questi casi, giustifichi la sua scelta spiegandone le ragioni nella motivazione dell’atto. Però, se c’è una motivazione, allora si apre per il giudice amministrativo la porta per verificare se essa stessa sia a sua volta viziata da «eccesso di potere» in quanto illogica, incoerente, basata su errori di fatto, e così via. 5. Man mano che il Consiglio di Stato individuava nuove ipotesi di vizio dell’atto amministrativo, sotto la denominazione dell’«eccesso di potere», esso delineava e precisava, per contrasto, le regole legittime dell’azione amministrativa, desumendole non da leggi che non esistevano, ma dalla retta ragione, dalla natura delle cose, dalla coerenza logica dell’intero ordinamento. Proprio ciò che avevano fatto i giuristi romani, da Servio Sulpicio Rufo (il primo che, secondo Cicerone, diede al diritto la dignità di scienza) a Triboniano (il coordinatore del Corpus Iuris Civilis). Il diritto romano è entrato a far parte del patrimonio culturale dell’Europa moderna non in quanto “insieme di regole”, ma in quanto “sistema di concetti”. I concetti non sono regole; sono il linguaggio nel quale sono espresse le regole. Secoli diversi possono adottare regole differenti per le obbligazioni e per i contratti, ma i concetti di “obbligazione” e di “contratto” rimangono. D’altra parte, in un sistema giuridico complesso troviamo regole che non possono essere dettate che da un legislatore; ma anche altre che invece nascono dal sistema stesso, dalla sua razionalità e dalla sua coerenza logica. Così i giuristi romani, una volta scoperta, sul piano concettuale, la distinzione tra cose fungibili e cose infungibili, ne dedussero la disciplina giuridica che differenzia gli effetti del contratto di mutuo da quelli del comodato. Queste regole non erano dettate da alcun legislatore, ma dalla ragione e dalla natura delle cose. Allo stesso modo ha operato il Consiglio di Stato dal 1889 in poi, creando il sistema concettuale del diritto amministrativo italiano e desumendone una enorme quantità di regole e di princìpi che più tardi è stata utilizzata e riprodotta dal legislatore.

6. Quali erano le circostanze che permettevano al Consiglio di Stato di elaborare una giurisprudenza così importante e di vederla accolta da tutti? Il primo fattore era, senza dubbio, il valore intrinseco di quella giurisprudenza, espressa con parole semplici e chiare, frutto di razionalità giuridica ma anche di buon senso pratico. Il secondo era l’autorevolezza del Consiglio di Stato come istituto. La giurisdizione amministrativa è nata con la legge del 1889, ma il Consiglio di Stato esisteva già; era stato istituito nel 1831 come organo centrale del potere esecutivo, subordinato solo al Consiglio dei Ministri. Ogni affare amministrativo di una certa importanza passava al parere del Consiglio di Stato, senza contare che molti Consiglieri di Stato rivestivano incarichi di notevole importanza nella politica e nell’amministrazione. Tutti costoro si uniformavano senza esitazione alle indicazioni dei loro colleghi della quarta sezione, e delle altre sezioni giurisdizionali che si sono aggiunte nel tempo. A maggior ragione si uniformavano le autorità amministrative inferiori. Formalmente, il Consiglio di Stato era un giudice di prima e ultima istanza, vale a dire che non c’erano veri e propri giudici di grado inferiore. Ma il ricorso al Consiglio di Stato era ammesso solo se l’interessato aveva esaurito la scala dei ricorsi amministrativi non giurisdizionali. Questi potevano essere rivolti, a seconda dei casi, alle autorità gerarchicamente superiori o ad organi contenziosi istituiti presso le singole amministrazioni. Di fatto, dunque, il Consiglio di Stato si trovava alla sommità di una piramide molto ampia, sulla quale esercitava un dominio che nessuno si immaginava di poter mettere in discussione. Tanto meno era concepibile che il Consiglio di Stato smentisse se stesso. Quell’apparato contenzioso pre-giurisdizionale risolveva la stragrande maggioranza delle controversie, cosicché al Consiglio di Stato ne giungevano poche e ben selezionate. Il ristretto numero dei giudizi favoriva, ovviamente, la ponderazione e scongiurava il pericolo di decisioni affrettate e contraddittorie. Un altro fattore è stato la struttura della legislazione. Questa era dettagliata e minuziosa per tutto ciò che riguardava i precetti vincolanti riguardanti sia l’attività della pubblica amministrazione che quella dei privati; ma non erano meno numerosi i casi nei quali la legge attribuiva all’autorità amministrativa un potere discrezionale (ad esempio in materia di pubblica sicurezza); e qui la legge era priva di indicazioni riguardo ai limiti e ai criteri orientativi di quella discrezionalità e riguardo al modo di procedere. Proprio questo dei poteri discrezionali era tuttavia il tipico campo di intervento del giudice amministrativo con lo strumento dell’«eccesso di potere»; ed in questo spazio libero il Consiglio di Stato ha costruito il suo sistema.

7. Ho fatto questa lunga – e naturalmente approssimativa – ricostruzione storica del primo secolo di esperienza del Consiglio di Stato come giudice, per parlare della situazione di oggi. Tutte, o quasi, le condizioni che in passato concorrevano a dare autorevolezza alle decisioni del Consiglio di Stato oggi si sono convertite nel loro contrario. Naturalmente rimane intatta l’autorità della “cosa giudicata” relativamente alla controversia decisa; è più dubbia, invece, la capacità di una singola decisione di porsi come regola e indirizzo per il futuro.

8. La riforma del 1971, che ha istituito i Tribunali Amministrativi Regionali, ha soppresso praticamente tutte le altre forme di tutela non giurisdizionale; quelle che non sono state soppresse sono state rese facoltative, vale a dire che averle esperite non è condizione di ammissibilità del ricorso giurisdizionale. Ogni provvedimento amministrativo può essere impugnato direttamente davanti al T.A.R., e in secondo grado al Consiglio di Stato. Attualmente, pervengono al Consiglio di Stato circa undicimila ricorsi all’anno (nel 1980 erano stati 2600); di questi circa duemilacinquecento sono appelli contro ordinanze cautelari pronunciate da Tribunali regionali su ricorsi non ancora definiti in primo grado. Questo flusso di ricorsi viene gestito da quattro sezioni giurisdizionali, ciascuna delle quali conta un numero di magistrati sufficiente a comporre due o tre collegi diversi. Questi numeri rendono molto difficile mantenere l’uniformità degli indirizzi giurisprudenziali. Questo è un problema che riguarda anche la Corte di Cassazione. Negli ultimi anni, la Corte di Cassazione, che era già arrivata a trentamila sentenze all’anno, è giunta a cinquantamila. Per quanto tutti questi magistrati si sforzino di mantenere un orientamento unitario, è inevitabile che collegi diversamente composti giungano – talvolta – a risultati diversi. Fra l’altro, l’afflusso continuo di nuovi ricorsi induce i magistrati a riservare la loro attenzione al caso specifico e a dare minore importanza alle questioni di principio.

9. Molte difficoltà provengono dallo stile della legislazione. La legislazione del secolo XIX e della prima parte del XX, fino al 1980 circa, in materia amministrativa lasciava ampio spazio alla discrezionalità dell’amministrazione e, indirettamente, all’elasticità dei giudici, nonché a strumenti interpretativi quali l’analogia e il richiamo ai princìpi generali. Inoltre le leggi venivano modificate relativamente di rado, cosicché sulla loro interpretazione si poteva formare una giurisprudenza meditata e duratura. Negli ultimi decenni la legislazione, nell’ansia di evitare ogni dubbio interpretativo e le controversie che ne derivano, si sforza di essere il più dettagliata e minuziosa possibile; nascono leggi con centinaia di articoli e articoli con centinaia di commi. Per di più, si susseguono nuovi interventi legislativi che modificano ora un comma ora l’altro, cosicché se si vuole avere la certezza di che cosa disponga “oggi” la legge su una certa questione dobbiamo consultare un codice on line; quelli a stampa, anche se recentissimi, non ci garantiscono che non ci sia stata qualche modifica. Sappiamo tuttavia che una legge più è dettagliata, più occasioni offre a chi voglia discuterne. Inoltre, una tecnica legislativa di questo genere non consente al giudice di discostarsi dalla formulazione testuale per fare appello ai princìpi generali ed all’interpretazione sistematica. E poiché queste leggi cambiano molto spesso, sorgono dubbi interpretativi che non possono essere risolti con il richiamo ai precedenti. Il quadro legislativo è reso ancora più complesso e contraddittorio per la molteplicità delle fonti. Abbiamo le leggi dello Stato, ma anche quelle delle Regioni, non sempre ben coordinate fra loro. Una modifica costituzionale del 2001 ha aumentato le competenze legislative delle Regioni, nello stesso tempo vietando allo Stato di emanare leggi nelle materie riservate alle Regioni, se non per indirizzi generali. Tuttavia i confini delle rispettive competenze non sono affatto certi. Di conseguenza gran parte del lavoro della Corte costituzionale, anziché nel tutelare le garanzie costituzionali dei cittadini, consiste oggi nel dirimere i conflitti di competenza legislativa fra lo Stato e le Regioni; queste decisioni arrivano spesso quando le leggi hanno già avuto applicazione. Si capisce che il compito del giudice amministrativo non è reso più agevole; tanto meno è facile costruire indirizzi giurisprudenziali certi e stabili. Difficoltà analoghe sono create dagli interventi della Corte di Giustizia dell’Unione Europea.

10. Mi pare chiaro che il problema principale della giustizia amministrativa italiana, per quanto riguarda il tema del nostro incontro, non è come assicurare che i giudici di primo grado seguano gli indirizzi del giudice di ultimo grado; è invece come mettere il Consiglio di Stato in grado di continuare ad elaborare – come ha fatto nel passato – indirizzi chiari, certi, coerenti e stabili. Le circostanze non lo favoriscono. Accade poi anche che il Consiglio di Stato entri in contraddizione con se stesso per decisione propria, non per effetto di mutamenti della legislazione e per la difficoltà di dare una interpretazione univoca a leggi nuove e contraddittorie. Il 5 giugno di quest’anno si sono tenute le elezioni per il rinnovo delle amministrazioni comunali di alcune città italiane, fra le quali Roma, Milano, Torino e Napoli. Come spesso avviene, le commissioni elettorali locali hanno respinto alcune liste di candidati consiglieri comunali, per irregolarità formali; i candidati esclusi hanno fatto ricorso ai Tribunali amministrativi, sostenendo che gli elementi formali mancanti non erano richiesti dalla legge a pena di inammissibilità delle candidature. I Tribunali amministrativi, con procedura d’urgenza, hanno respinto tutti questi ricorsi, richiamando i precedenti del Consiglio di Stato che aveva sempre deciso che quelle formalità dovevano essere rispettate a pena di inammissibilità. I candidati esclusi hanno fatto appello. Il Consiglio di Stato, a sorpresa, ha accolto tutti gli appelli modificando la propria giurisprudenza; e quei candidati hanno partecipato alle elezioni. L’argomento usato dal Consiglio di Stato era che quelle irregolarità formali non erano tali da far mettere in dubbio che quei candidati possedessero tutti i requisiti, in particolare quello di avere ottenuto il numero prescritto di firme di presentazione da parte dei loro sostenitori. E’ un argomento che si può anche condividere. Ma in precedenza il Consiglio di Stato aveva detto sempre il contrario. Cambiamenti giurisprudenziali di questo genere incoraggiano le parti a sostenere tesi in contrasto con i precedenti, e i giudici di primo grado ad accoglierle, perché si può sempre pensare che il Consiglio di Stato cambierà la propria giurisprudenza.

11. Nel tentativo di facilitare la formazione di una giurisprudenza omogenea, il legislatore ha istituito un collegio speciale denominato “Adunanza Plenaria”; attualmente è composto di dodici membri (tre per ciascuna delle quattro sezioni giurisdizionali) più il Presidente del Consiglio di Stato, che lo presiede. I collegi delle sezioni semplici possono (devono) deferire all’Adunanza Plenaria le cause che presentino questioni sulle quali si siano registrati contrasti di giurisprudenza. Dal 2010 il nuovo codice del processo amministrativo dispone che le sezioni non possono decidere in senso contrario ai precedenti dell’Adunanza Plenaria, ma, al più, possono rimettere nuovamente la questione alla Plenaria. Non è previsto invece che i Tribunali amministrativi regionali possano chiedere una pronuncia pregiudiziale dell’Adunanza Plenaria; eccezionalmente è previsto ora, da una legge del 2016, limitatamente alle questioni di applicazione del regolamento per il processo telematico, che sta per entrare in vigore. Di fatto, l’Adunanza Plenaria emana non più di venti o trenta sentenze ogni anno; nei nostri anni molte di queste decisioni sono rese effimere dalla mutevolezza della legislazione.

12. Fra tante circostanze avverse che rendono talvolta difficile il compito di regolazione della giurisprudenza affidato al Consiglio di Stato, manca del tutto una preconcetta ostilità dei giudici di primo grado. Al contrario vi è una notevole omogeneità culturale fra i magistrati dei due gradi; anche per il fatto che una metà dei posti che si rendono vacanti nel Consiglio di Stato è riservata ai magistrati dei T.A.R. con maggiore anzianità, mentre i Consiglieri di Stato più anziani possono essere scelti per l’incarico di Presidente di un T.A.R.. Nondimeno, si possono ricordare episodi di collegi di primo grado che si sono battuti inutilmente per far accettare al Consiglio di Stato determinate innovazioni giurisprudenziali, e poi hanno raggiunto il loro scopo investendo della questione la Corte di Giustizia Europea. Ma sono esempi rari e ormai lontani nel tempo.

13. In conclusione, ci chiediamo quale sia il compito che oggi il legislatore – diciamo il sistema politico – assegna al giudice amministrativo e in particolare a quello di ultima istanza. Secondo le concezioni tradizionali, il compito del giudice di primo grado è quello di fare giustizia nel caso concreto, risolvendo la controversia secondo diritto; il compito del giudice di ultimo grado è piuttosto quello di assicurare la corretta interpretazione della legge e l’uniformità della applicazione. In questo modo, il giudice superiore deve realizzare due valori: l’uguaglianza dei cittadini davanti alla legge, e la certezza del diritto, intesa quest’ultima come la prevedibilità delle sentenze dei giudici. Oggi il legislatore italiano sembra assegnare ai giudici amministrativi – tutti: quelli di primo grado e quelli di ultimo grado – il compito di decidere più cause possibile, e di deciderle nel più breve tempo possibile. Lo fa quando abbrevia i termini processuali e quando istituisce procedure speciali semplificate e accelerate in molte materie, comprese alcune molto impegnative per il giudice, come le gare di appalto. Il legislatore è spinto a indirizzare i giudici in questo senso (decidere più cause e deciderle più rapidamente) perché è opinione comune che la giustizia (non solo quella amministrativa) in Italia è troppo lenta e questo danneggia l’economia. E questo è vero. Ma la causa della lentezza della giustizia è l’eccessivo numero dei ricorsi e dei processi. Costringere i giudici ad emettere più sentenze e a farlo più in fretta significa sacrificare la certezza del diritto e l’uniformità della giurisprudenza, e questo serve da incentivo a proporre sempre più ricorsi, perché una chance di vittoria c’è anche nella situazione apparentemente più disperata. Quindi si entra in una spirale viziosa.

14. Quali rimedi si possono proporre? A questa domanda non posso rispondere, perché dovrei sostituirmi al legislatore; e del resto le mie proposte potrebbero apparire utopistiche: come quella di esortare il legislatore a scrivere meno leggi, a farle più semplici e più brevi, a cambiarle meno spesso. Ugualmente molti diranno che sia poco realistico, per non dire irrealizzabile, restituire spazio e importanza ai ricorsi amministrativi pre-giurisdizionali, come filtro di accesso alla giustizia amministrativa propriamente detta. Però va pur detto che il legislatore – o la classe politica – dovrebbe scegliere se l’obiettivo da perseguire sia continuare ad ampliare l’accesso alla giustizia (e specialmente a quella di ultimo grado) moltiplicando le controversie e i magistrati che le decidono, o piuttosto privilegiare, nell’interesse generale, l’uniformità della giurisprudenza e la certezza del diritto. I due obiettivi sono incompatibili.

Die Regulierungsfunktion der obersten Verwaltungsgerichte, Dr. Heinrich Zens, Hofrat am Verwaltungsgerichtshof Wien

1./ Kurze Begrüßung

Messieurs le Présidents, chers collègues,

A l’occasion de notre conférence de l’association des tribunaux administratifs allemands, italiens et français il me fait grand plaisir et honneur de réfléchir sur le thème choisi par le point de vue Autrichien dans ce cadre prestigieux du Palais Royal. Mais avant que je commence avec mes pensées, je voudrais profiter de cette occasion à remercier de tout coeur pour l’honneur d’assister à la réunion en cours et pour l’extraordinaire hospitalité que nous avons reçu par M. le Vice-Président du conseil d’Etat et par tous nos collègues francais. Permettez-moi de continuer en Allemand.

2./ Zum gestellten Thema

a./ Rechtsprechung des Verwaltungsgerichtshofes (VwGH) als Ersatz der regulatorischen Funktion, welche eigentlich dem Gesetzgeber oder einer verordnungserlassenden Behörde obläge;

b./ Rechtsprechung des VwGH als Leitfunktion für die Rechtsprechung der Verwaltungsgerichte erster Instanz (VG) und für das Agieren der Verwaltung

3./ Zu 2.a/

Hinweis auf das verfassungsrechtliche Legalitätsprinzip, welches auch den Verordnungsgeber bindet.

Art. 18 Abs. 1 B-VG (Bundes-Verfassungsgesetz): Die gesamte staatliche Verwaltung darf nur auf Grund der Gesetze ausgeübt werden.

Art. 18 Abs. 2 B-VG: Jede Verwaltungsbehörde kann auf Grund der Gesetze innerhalb ihres Wirkungsbereiches Verordnungen erlassen.

„Auf Grund der Gesetze“ bedeutet eine ausdrückliche gesetzliche Ermächtigung zur Erlassung von Verordnungen und deren hinreichende Determinierung durch das Gesetz.

Das Legalitätsprinzip verlangt daher, dass ein Gesetz das Handeln der Verwaltung (und damit auch der VG und des VwGH) hinreichend klar determiniert. Andernfalls wäre es verfassungswidrig. Es dürfte nicht angewandt werden, sondern die Verwaltungsgerichte müssten dessen Aufhebung beim Verfassungsgerichtshof beantragen.

Bloße Auslegungsbedürftigkeit schadet jedoch nicht. In diesem Zusammenhang gilt nach der Rspr des österreichischen Verfassungsgerichtshofes das sogenannte „differenzierte Legalitätsprinzip“:

„Der Verfassungsgerichtshof verkennt nicht, dass es sich bei dem betreffenden Tatbestandsmerkmal um einen auslegungsbedürftigen Gesetzesbegriff handelt. Wenn in Bezug auf diesen Terminus der Vorwurf der nicht ausreichenden Determinierung im Sinne des Art 18 B-VG erhoben wird, ist dem zunächst entgegenzuhalten, dass die unvermeidbare Unbestimmtheit mancher Gesetzesbegriffe verfassungsrechtlich zulässig ist, zumal der Verfassungsgerichtshof in seiner Judikatur zum „differenzierten Legalitätsprinzip“ etwa festgestellt hat, dass für eine Regelung im Bereich des Wirtschaftsrechts keine so weit gehende gesetzliche Vorherbestimmung als erforderlich anzusehen ist wie in Bereichen, in denen eine exaktere Determinierung möglich ist und in denen „das Rechtsschutzbedürfnis (wie etwa im Strafrecht, im Sozialversicherungsrecht oder im Steuerrecht) eine besonders genaue Determinierung verlangt“. Dem Gesetzgeber ist also nicht entgegenzutreten, wenn er sich auslegungsbedürftiger Gesetzesbegriffe wie hier in einem Ausmaß bedient, dass das Handeln der Vollziehung im Ergebnis hinreichend vorherbestimmt ist.

Vor diesem Hintergrund besteht somit grundsätzlich keine Ermächtigung an die Verwaltungsgerichtsbarkeit (einschließlich des VwGH) auch nur im Einzelfall regulatorische Aufgaben zu übernehmen, welche dem Gesetzgeber oder einem Verordnungsgeber obliegen.

Wohl kommt dem VG und den VwGH aber nach dem Vorgesagten eine Befugnis zur Auslegung unbestimmter Gesetzesbegriffe zu.

Auch die Rechtstechniken der Lückenfüllung durch Analogie bzw. der teleologischen Reduktion sind nach der Rspr des VwGH in bestimmten Umfang zulässig:

Die diesbezüglichen Grundsätze des § 7 ABGB (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch, welche auch im Verwaltungsrecht Anwendung finden) werden in diesem Zusammenhang angewendet:

§ 7. Läßt sich ein Rechtsfall weder aus den Worten, noch aus dem natürlichen Sinne eines Gesetzes entscheiden, so muß auf ähnliche, in den Gesetzen bestimmt entschiedene Fälle, und auf die Gründe anderer damit verwandten Gesetze Rücksicht genommen werden. Bleibt der Rechtsfall noch zweifelhaft; so muß solcher mit Hinsicht auf die sorgfältig gesammelten und reiflich erwogenen Umstände nach den natürlichen Rechtsgrundsätzen entschieden werden.

Voraussetzung für die analoge Anwendung verwandter Rechtsvorschriften ist das Bestehen einer echten Gesetzeslücke; das heißt einer planwidrigen und daher durch Analogie zu schließenden Unvollständigkeit innerhalb des positiven Rechts, gemessen am Maßstab der gesamten geltenden Rechtsordnung. Eine Lücke ist demnach nur dort anzunehmen, wo das Gesetz (gemessen an der mit seiner Erlassung verfolgten Absicht und seiner immanenten Teleologie) unvollständig, also ergänzungsbedürftig ist und wo seine Ergänzung nicht etwa einer vom Gesetz gewollten Beschränkung widerspricht. Im Zweifel ist das Unterbleiben einer bestimmten Regelung im Bereich des öffentlichen Rechts als beabsichtigt anzusehen.

Eine teleologische Reduktion einer Bestimmung wird von den Gerichtshöfen des öffentlichen Rechts dann vorgenommen, wenn verfassungswidrige Ergebnisse, unverständliche oder nicht sachgerechte Ergebnisse vermieden werden sollen.

Insoweit könnte davon gesprochen werden, dass dem VwGH im Zusammenhang mit Lückenfüllung durch Analogie eine positive, im Zusammenhang mit teleologischer Reduktion eine negative regulatorische Funktion im Sinne einer „stellvertretenden“ Gesetzeserlassung bzw. Teilaufhebung zukommt.

Entscheidungen des VwGH wirken freilich nicht „erga omnes“. Im Falle einer Entscheidung des VwGH „in der Sache“ ist damit nur der betreffende Fall endgültig entschieden. Im – weitaus häufigeren Fall – der Aufhebung der angefochtenen Entscheidung sind VGe und Vwbehörden zwar gemäß § 63 VwGG (Verwaltungsgerichtshofsgesetz) verpflichtet mit allen ihnen zu Gebote stehenden Mitteln den der Rechtsanschauung des VwGH entsprechenden Rechtszustand herzustellen. Dies betrifft aber nur den jeweiligen Einzelfall.

Dennoch: Ein Abgehen eines VGes von der Rechtsprechung des VwGH ist zwar in anderen Fällen zulässig, das VG riskiert allerdings die Aufhebung einer solchen Entscheidung durch den VwGH. Das VG sollte daher nur dann von der Rspr des VwGH abgehen, wenn es nach eingehender Auseinandersetzung mit der Begründung dieser Rspr meint seine Lösung sei derjenigen des VwGH vorzuziehen.

Daher können Judikate des VwGH bisweilen auch Reaktionen des Gesetzgebers auslösen: Übernahme präzisierender Auslegungen durch den VwGH, die dem Gesetzgeber genehm sind, in das Gesetz. Novellierungen, in denen dann ausdrücklich das Gegenteil dessen angeordnet wird, was der VwGH zum unklaren Gesetz bisher judiziert hat, womit – wie die Materialien dann oft sagen – das Gegenteil „klargestellt“ werden soll (solche „Klarstellungen“ entfalten ihre Wirkungen natürlich erst mit mit Inkrafttreten der Novelle).

4./ zu 2.b/

a./ Einleitung (die Geschichten vom Richter auf Sommerfrische)

b./ Kurze Darstellung der am 1. Jänner 2014 in Kraft getretenen Reform der österreichischen Verwaltungsgerichtsbarkeit.

Altsystem: administrativer Instanzenzug mit Neuerungsbefugnis vor der höheren Instanz, welche immer in der Sache selbst entscheidet, volle Rechts- und Tatsachenkognition der höheren Verwaltungsbehörden

Vorangegangene Reformen sahen, zwecks Anpassung an EMRK und Unionsrecht sodann unabhängige Verwaltungssenate vor, deren Mitglieder richterähnliche Stellung hatten und die Tribunale im Sinne der EMRK und vorlageberechtigte „Gerichte“ im Verständnis des Unionsrechtes waren. Diese waren aber nur für Teilbereiche des Verwaltungsrechtes zuständig.

Der Verwaltungsgerichtshof übte eine nachprüfende kassatorische Kontrolle der Rechtsmäßigkeit des Verwaltungshandelns (einschließlich jenes der unabhängigen Tribunale) aus. Diese Rechtskontrolle war auf die Frage der Verletzung subjektiver Rechte der Partei beschränkt, erstreckte sich aber sonst sowohl auf das materielle Recht wie auch für das Prozeßrecht. Prüfungsmaßstab war die Sach- und Rechtslage im Zeitpunkt der Entscheidung der letztinstanzlichen Verwaltungsbehörde. Daraus folgte ein Neuerungsverbot im Verfahren vor dem Verwaltungsgerichtshof. Der Verwaltungsgerichtshof hatte eine Feinprüfung der materiellen Rechtsfrage (Subsumption im jeweiligen Einzelfall) und auch eine Feinprüfung der Einhaltung von Verfahrensvorschriften durch die Verwaltung vorzunehmen, wobei das Aufgreifen von Rechtswidrigkeiten grundsätzlich von Amts wegen zu erfolgen hatte (Ausnahmen bestanden nach der Rechtsprechung für bestimmte Verfahrensmängel, deren Entscheidungsrelevanz die Partei darzulegen hatte). Die Beweiswürdigung wurde indirekt geprüft. Der VwGH war gemäß Art. 129 B-VG zur „Sicherung der Gesetzmäßigkeit der gesamten öffentlichen Verwaltung“ berufen. Dies galt – jedenfalls dort wo keine Tribunale vorgeschaltet waren – für jeden an ihn herangetragenen Einzelfall.

Grundgedanke der Reform war die Beseitigung des administrativen Instanzenzuges. Es gibt nur noch eine Verwaltungsinstanz, dagegen Beschwerde an die Vge, welche der alten administrativen Berufung nachgebildet war (Neuerungserlaubnis, Entscheidung in der Sache selbst, volle Rechts- und Tatsachenkognition, sogar Erlaubnis zur „reformatio in peius“).

Gegen die Entscheidungen der Vge steht sodann die Revision an den VwGH offen, jedoch nur unter der Voraussetzung des Art. 133 Abs. 4 B-VG, wo es heißt:

„(4) Gegen ein Erkenntnis des Verwaltungsgerichtes ist die Revision zulässig, wenn sie von der Lösung einer Rechtsfrage abhängt, der grundsätzliche Bedeutung zukommt, insbesondere weil das Erkenntnis von der Rechtsprechung des Verwaltungsgerichtshofes abweicht, eine solche Rechtsprechung fehlt oder die zu lösende Rechtsfrage in der bisherigen Rechtsprechung des Verwaltungsgerichtshofes nicht einheitlich beantwortet wird.“

c./ Zum Begriff der „Rechtsfrage von grundsätzlicher Bedeutung“

Rechtsfragen sind Auslegungsfragen, es geht also nicht mehr um die Prüfung der Richtigkeit jedes einzelnen Subsumtionsvorganges (jeder „rechtlichen Beurteilung“ im Einzelfall unter Berücksichtigung all seiner spezifischen Umstände), sondern um die Erklärungsbedürftigkeit einer Rechtsnorm auf einer mittleren Abstraktionsebene, welche zwar niedriger ist als jene des Gesetzes, wohl aber höher als die Subsumtion im konkreten Einzelfall. Der Auslegungsfrage muss im aktuellen Fall entscheidungserhebliche Bedeutung zukommen, infolge ihrer Ansiedlung auf „mittlerer Abstraktionsebene“ aber auch in einer nicht unbeträchtlichen Zahl (denkmöglicher) anderer Fallkonstellationen.

Der Begriff der Rechtsfrage im Sinne der Zulassungsvoraussetzung dürfte daher in etwa dem Begriff der „Auslegungsfrage“ im Zusammenhang mit Vorabentscheidungsersuchen an den Gerichtshof der EU entsprechen. Keine Auslegungsfrage liegt dann vor, wenn der Gesetzeswortlaut klar ist und die Partei kein substantiiertes Vorbringen in Richtung der Notwendigkeit einer Analogie oder einer teleologischen Reduktion erstattet.

d./ Grundsätzliche Rechtsfragen unionsrechtlicher Natur:

Unionsrechtliche Fragen können – ihre Grundsätzlichkeit vorausgesetzt – die Zulässigkeit der Revision begründen. Es ist jedoch nicht Aufgabe der Verwaltungsgerichtsbarkeit, die abstrakte Vereinbarkeit einer innerstaatlichen Rechtsnorm mit Bestimmungen des Unionsrechtes zu prüfen. Als Rechtsfrage des Unionsrechtes, welche – ihre Grundsätzlichkeit vorausgesetzt – die Zulässigkeit einer Revision an den VwGH begründen könnte, kommt jene in Betracht, ob sich aus der Auslegung einer (Anwendungsvorrang genießenden) unionsrechtlichen Norm die Unanwendbarkeit einer konkreten innerstaatlichen Norm im Revisionsfall (bzw.in Fallgruppen, denen der Revisionsfall angehört) ergibt.

Zulässigkeit der Revision bei unionsrechtlichen Fragen daher dann gegeben, wenn das VG die unionsrechtliche Frage klar falsch gelöst hat (dann kann das Erkenntnis des VG auch ohne Vorlage durch den VwGH aufgehoben werden) oder aber, wenn die Lösung der unionsrechtlichen Frage nicht im Sinne der acte claire Doktrin eindeutig ist. Dann muss der VwGH die Revision annehmen und ist in diesem Zusammenhang auch vorlagepflichtiges Höchstgericht.

Ist die Lösung der unionsrechtlichen Frage durch das VG demgegenüber im Sinne der acte-claire Doktrin hingegen klar richtig, kommt eine Annahme der Revision aus dem Grunde der unionsrechtlichen Rechtsfrage nicht in Betracht, weil dann ja auch keine Auslegungsfrage auf dem Spiel steht. Der Fall würde also so gelöst wie vorher für den Fall des eindeutigen Gesetzeswortlautes erklärt, also mit Zurückweisung der Revision als unzulässig mangels Rechtsfrage von grundsätzlicher Bedeutung.

e./ Grundsätzliche Rechtsfragen und Verfahrensmängel:

Im Prinzip gilt auch hier: Fragen der Auslegung des Verfahrensrechtes sind ebenso „Rechtsfragen“ wie solche des materiellen Rechtes. Probleme der Auslegung des Verfahrensrechtes können sich sowohl dann stellen, wenn das VG zu diesen ausdrücklich Stellung genommen hat als auch dann, wenn es ohne nähere Begründung ein prozessuales Tun oder Unterlassen gesetzt hat, welches nach Auffassung der Partei einen „Verfahrensmangel“ konstituiert. Auch hier gilt der Grundsatz: Ist es erforderlich die strittige Verfahrensbestimmung auf einer mittleren Abstraktionsebene zu erklären und hängt davon die Richtigkeit der Verfahrensführung durch das VG ab. Bejahendenfalls liegt eine grundsätzliche Rechtsfrage des Verfahrensrechtes vor.

Zusätzlich gilt aber, dass bei einem Verfahrensmangel auch die Relevanz des Mangels für den Verfahrensausgang dargetan werden muss, das heißt, dass dieser abstrakt geeignet sein muss, im Falle eines mängelfreien Verfahrens zu einer anderen – für den Revisionswerber günstigeren – Sachverhaltsgrundlage zu führen (Ausnahme bei Verletzung des Art. 6 EMRK oder des Art. 47 Abs. 2 GRC durch Unterlassung der Durchführung einer Verhandlung oder bei Teilnahme eines befangenen Richters; dann erfolgt Aufhebung wegen Verfahrensmangels ohne Relevanzprüfung).

Vor diesem Hintergrund wird in der neueren Judikatur des VwGH auch stets betont, dass das Höchstgericht nicht mehr dazu berufen ist, die „Einzelfallgerechtigkeit“ umfassend zu garantieren. Vielmehr kommt ihm eine Leitfunktion bezüglich grundsätzlicher Rechtsfragen zu.

f./ Wahrung der Einzelfallgerechtigkeit nur mehr in krassen Ausnahmefällen:

Ausnahmsweise überprüft der VwGH – und zwar sowohl im Bereich des materiellen Rechtes als auch des Verfahrensrechtes – die Subsumtion der Rechtsnormen im Einzelfall, auch wenn sich Auslegungsfragen im obgenannten Sinne nicht stellen oder bereits durch die Judikatur des VwGH gelöst sind. Dies gilt für den Fall, dass die entsprechende Judikatur zwar zitiert, aber im Einzelfall in „unvertretbarer Weise“ angewendet wurde.

Jeder Bescheid ist rein objektiv seinem Wortlaut nach – insoweit also gleich einem Gesetz nach den §§ 6 und 7 ABGB – auszulegen. Der Wortlaut des Spruches der Erledigung, welcher eine Verlängerung eines Karenzurlaubes anordnet, schließt es aus, dass damit auch eine rückwirkende Rechtsgestaltung für den davorliegenden Zeitraum hätte vorgenommen werden sollen. Aus der Verwendung des Wortes „verlängert“ ergibt sich vielmehr klar, dass sich die mit dieser Erledigung intendierte Rechtsgestaltung ausschließlich auf den Verlängerungszeitraum beziehen sollte. Neben der Wortinterpretation spricht aber auch der Grundsatz der gesetzeskonformen Auslegung von Bescheidsprüchen offenkundig gegen die vom VwG vertretene Interpretation, wäre doch eine rückwirkende Bewilligung eines Karenzurlaubes in Ermangelung einer diesbezüglichen ausdrücklichen gesetzlichen Ermächtigung offenkundig rechtswidrig. Vor diesem Hintergrund erweist sich die vom VwG vorgenommene Interpretation der in Rede stehenden Erledigung als unvertretbare Anwendung der vom VwGH geprägten Rechtsprechung zur Auslegung von Bescheiden, welche eine grundsätzliche Rechtsfrage ungeachtet des Umstandes berührt, dass Bescheidauslegungen in aller Regel einzelfallbezogene Rechtsfragen darstellen.

g./ „fehlende Rechtsprechung“

Eine Rechtsfrage grundsätzlicher Bedeutung liegt nicht vor, wenn diese Frage in der Rechtsprechung des VwGH bereits beantwortet wurde. Dass diese Rechtsprechung allenfalls zu Vorgängerregelungen der in Frage stehenden Norm erging, schadet nicht, wenn es keiner neuen Leitlinien höchstgerichtlicher Rechtsprechung bedarf, um die strittige Vorschrift auszulegen, insbesondere, weil sie in den entscheidenden Teilen inhaltlich nicht relevant verändert worden ist; dasselbe hat auch bei Normen zu gelten, die sich in den entscheidenden Teilen nicht von anderen Normen unterscheiden, zu denen entsprechende Rechtsprechung ergangen ist.

h./ Abweichen von der Rechtsprechung

Die bereits oben erwähnte grundsätzliche Befugnis der VGe von der Rspr des VwGH auch mit (vermeintlich) besseren Gründen abzuweichen, kommt in der Schaffung des Revisionsgrundes einer „Abweichung von der Rspr des VwGH“ zum Ausdruck. Sie begründet die Zulässigkeit der Revision, aber nach dem Vorgesagten nicht schon ihre Berechtigung. Vielmehr könnte sich der VwGH, falls auch er findet, dass die Gründe des VG für das Abgehen von seiner Rspr stichhaltig sind, zu einer Änderung seiner Judikatur veranlasst sehen und die Revision abweisen.

Dafür bedürfte es aber einer Entscheidung eines sogenannten verstärkten Senates, d.h. der sonst grundsätzlich zuständige 5-er Senat wird um 4 weitere Mitglieder verstärkt, wenn von bisheriger Rspr abgegangen werden soll. Zweck dieser Bestimmung ist es natürlich, das Vertrauen in die Orientierungsfunktion bestehender höchstgerichtlicher Rspr weitestgehend zu schützen, sodass von einer solchen nur in besonders gelagerten Fällen abgegangen werden sollte.

i./ Widersprüche innerhalb der Rechtsprechung des VwGH

Der Tatbestand der widersprüchlichen Rechtsprechung des VwGH sollte eigentlich nicht vorkommen, weil –wie oben ausgeführt – von bestehender Rspr nur durch die Entscheidung eines verstärkten Senates abgegangen werden kann. Eine solche Entscheidung ist dann maßgebend, wobei diesfalls wohl keine „widersprüchliche Rspr“ vorliegt, sondern das spätere Erkenntnis des verstärkten Senates maßgeblich bleibt. Entsteht aber – durch rechtswidrige Unterlassung der Verstärkung – widersprüchliche Judikatur zwischen 5-er Senaten, so ist die Revision zulässig und es ist durch einen verstärkten Senat zu klären, welcher der beiden Lösungen der Vorzug zu geben ist.

5./ Prozessuale Behandlung der Zulassungsfrage:

Grundsätzlich hat das VG in seiner Entscheidung auszusprechen, ob die Revision zulässig ist. Dieser Ausspruch ist kurz zu begründen.

Der VwGH ist freilich an diesen Ausspruch des VG nicht gebunden, er soll im Wesentlichen nur eine Orientierung für die Parteien bieten, ob das VG eine grundsätzliche Rechtsfrage erkennt oder nicht. Hat das VG die Zulässigkeit bejaht, spricht man von einer ordentlichen Revision, sonst von einer außerordentlichen Revision. Beide Revisionen unterscheiden sich jedoch nur eher marginal von ihrer prozessualen Behandlung her.

Bejaht das VG das Vorliegen einer grundsätzlichen Rechtsfrage, so hat es diese in der Zulassungsbegründung präzise zu umschreiben.

Verneint das VG die Zulässigkeit, so sollte es die bestehende Rspr des VwGH nennen, auf Grund derer allenfalls entstandene Auslegungsfragen klargestellt sind.

Erhebt eine Partei außerordentliche Revision, so hat sie auch gesondert die Gründe zu enthalten, aus denen entgegen dem Ausspruch des Verwaltungsgerichtes die Revision für zulässig erachtet wird. Der VwGH prüft die Zulassungsfrage ausschließlich unter dem Aspekt der dafür von der Partei ins Treffen geführten Gründe. Er „sucht“ daher nicht nach möglichen anderen grundsätzlichen Rechtsfragen als jene, welche die Revisionswerberin ins Treffen geführt hat.

Auch im Falle einer ordentlichen Revision prüft der VwGH die Zulassungsfrage zunächst ausschließlich unter dem Aspekt der dafür vom VG ins Treffen geführten Gründe. Darüber hinaus hat der Revisionswerber hat von sich aus weitere Gründe der Zulässigkeit der Revision gesondert darzulegen, sofern er der Ansicht ist, dass die Begründung des Verwaltungsgerichtes für die Zulässigkeit der Revision nicht ausreicht oder er andere Rechtsfragen grundsätzlicher Bedeutung für relevant erachtet.

6./ Leitfunktion bei Massenverfahren:

a./ Reaktionsmöglichkeit des VwGH (§ 38a VwGG)

Ist beim Verwaltungsgerichtshof eine erhebliche Anzahl von Verfahren über Revisionen anhängig, in denen gleichartige Rechtsfragen zu lösen sind, oder besteht Grund zur Annahme, dass eine erhebliche Anzahl solcher Revisionen eingebracht werden wird, so kann der Verwaltungsgerichtshof dies mit Beschluss aussprechen.

Ein solcher Beschluss hat zu enthalten:

die in diesen Verfahren anzuwendenden Rechtsvorschriften; die auf Grund dieser Rechtsvorschriften zu lösenden Rechtsfragen; die Angabe, welche der Revisionen der Verwaltungsgerichtshof behandeln wird.

Solche Beschlüsse gemäß Abs. 1 verpflichten den Bundeskanzler oder den zuständigen Landeshauptmann, ansonsten die zuständige oberste Behörde des Bundes oder des Landes zu ihrer unverzüglichen Kundmachung.

In Rechtssachen, in denen ein VG die im Beschluss genannten Rechtsvorschriften anzuwenden und eine darin genannte Rechtsfrage zu beurteilen hat: Es dürfen nur solche Handlungen vorgenommen oder Anordnungen und Entscheidungen getroffen werden, die durch das Erkenntnis des Verwaltungsgerichtshofes nicht beeinflusst werden können oder die die Frage nicht abschließend regeln und keinen Aufschub gestatten. Die Revisionsfrist beginnt nicht zu laufen; eine laufende Revisionsfrist wird unterbrochen. Die Frist zur Stellung eines Fristsetzungsantrages sowie in den Bundes- oder Landesgesetzen vorgesehene Entscheidungsfristen werden gehemmt. In allen beim Verwaltungsgerichtshof anhängigen Verfahren gemäß Abs. 1, die im Beschluss gemäß Abs. 1 nicht genannt sind: Es dürfen nur solche Handlungen vorgenommen oder Anordnungen und Entscheidungen getroffen werden, die durch das Erkenntnis des Verwaltungsgerichtshofes nicht beeinflusst werden können oder die die Frage nicht abschließend regeln und keinen Aufschub gestatten. In seinem Erkenntnis fasst der Verwaltungsgerichtshof seine Rechtsanschauung in einem oder mehreren Rechtssätzen zusammen, die nach Maßgabe des Abs. 2 unverzüglich kundzumachen sind. Mit Ablauf des Tages der Kundmachung beginnt eine unterbrochene Revisionsfrist neu zu laufen und enden die sonstigen Wirkungen des Abs. 3.

Nach herrschender Auffassung bewirkt freilich auch die Kundmachung keine Bindungswirkung der kundgemachten Rechtsauffassung in den bislang unterbrochenen oder sonstigen Folgeverfahren, in denen sich die Rechtsfrage stellt. Der VwGH könnte daher letztendlich auch von einer solcherart kundgemachten Rechtsansicht wieder abgehen (was freilich praktisch kaum der Fall sein wird).

Bisherige Anwendungsfälle: Unionsrechtskonformität der Versagung der Energieabgabenvergütung gegenüber Dienstleistungsbetrieben bei vorangegangener Zuerkennung an Produktionsbetriebe, Zulässigkeit der Einbeziehung des Einkommens des im gemeinsamen Haushalt lebenden Ehegatten in die Beurteilung der Notlage des anderen Ehegatten für Zwecke der Notstandsbeihilfe

b./ Reaktionsmöglichkeit des VG (§ 34 Abs. 3 VwGVG, Verwaltungsgerichtsverfahrensgesetz)

Das VG kann ein Verfahren über eine Beschwerde mit Beschluss aussetzen, wenn vom VG in einer erheblichen Anzahl von anhängigen oder in naher Zukunft zu erwartenden Verfahren eine Rechtsfrage zu lösen ist und gleichzeitig beim VwGH ein Verfahren über eine Revision gegen ein Erkenntnis oder einen Beschluss eines VGs anhängig ist, in welchem dieselbe Rechtsfrage zu lösen ist, und eine Rechtsprechung des VwGH zur Lösung dieser Rechtsfrage fehlt oder die zu lösende Rechtsfrage in der bisherigen Rechtsprechung des VwGH nicht einheitlich beantwortet wird.

Gleichzeitig hat das VG dem VwGH das Aussetzen des Verfahrens unter Bezeichnung des beim VwGH anhängigen Verfahrens mitzuteilen. Mit der Zustellung des Erkenntnisses oder Beschlusses des VwGH an das Verwaltungsgericht ist das Verfahren fortzusetzen. Das VG hat den Parteien die Fortsetzung des Verfahrens mitzuteilen.

7./ Zusammenfassung

Zusammengefasst lässt sich sagen, dass dem VwGH in Österreich eine Leitfunktion gegenüber den VGen in grundsätzlichen Auslegungsfragen und in einem gewissen Umfang auch im Bereich der Rechtsfortbildung durch Lückenfüllung und teleologische Reduktion zukommt. Diese Leitfunktion wird durch die Anrufbarkeit des VwGH in allen Fällen, in denen das VG sich nicht an die bisherige Rspr des VwGH gehalten hat, bzw. eine solche fehlt, sichergestellt. Das Vertrauen in die Bestandskraft der herrschenden Rspr des VwGH wird durch das Erfordernis eines verstärkten Senates bei Abgehen von bestehender Rspr sichergestellt. Ansonsten kommt aber der Rspr des VwGH keine über den jeweils entschiedenen Fall hinausgehende „erga omnes“ Wirkung zu. Ich danke für Ihre Aufmerksamkeit.

La fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes: le point de vue d’un juge luxembourgeois de première instance *, Carlo Schockweiler, premier vice-président du tribunal administratif de Luxembourg

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat

Monsieur le président de l’association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA),

Messieurs les vice-présidents de l’AJAFIA,

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Je remercie l’AJAFIA de m’avoir invité à poser un regard luxembourgeois sur le thème de la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes et j’essaierai partant de me concentrer sur les spécificités luxembourgeoises, tout en essayant de formuler quelques remarques d’ordre plus général, en y incluant mon point de vue de juge de première instance. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner qu’en ma qualité de juge de première instance, je puisse avoir un regard quelque peu critique vis-à-vis du rôle et du travail d’une Cour administrative suprême dont les arrêts ne concernent pas seulement les parties à l’instance, mais s’adressent également aux juges d’une instance inférieure, en ce que ceux-ci sont tenus de s’y conformer, en cas de réformation ou d’annulation de leur jugement, en contenant le cas échéant des lignes directrices ou des principes à suivre lors d’instances contentieuses ultérieures portées devant ces derniers. Il échet dans ce contexte de relever qu’une Cour administrative suprême, comme d’ailleurs toute juridiction suprême, porte une responsabilité particulière, dans la mesure où les décisions prises par elle ne sont soumises en principe à aucun contrôle, à l’exception le cas échéant d’un recours porté devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Mais revenons tout d’abord sur le thème que nous avons à traiter aujourd’hui, à savoir celui de la régulation qui serait l’une des missions d’une Cour administrative suprême, pour nous interroger sur le sens dudit terme. Alors qu’une définition juridique de cette notion ne semble pas exister et qu’elle ne serait de toute façon pas facile à énoncer, on peut d’emblée constater qu’il existe une incertitude quant au contenu de cette notion. On peut toutefois estimer que les Cours administratives suprêmes aient également un rôle de régulateur à jouer, mais se pose alors la question de savoir dans quels domaines elles pourraient être amenées à fixer des règles voire, de manière moins contraignante, des lignes directrices.

D’emblée, il échet de relever que le Luxembourg ne connaît pas la procédure par laquelle, comme en France, des avis contentieux peuvent être rendus par la juridiction administrative suprême sur question préjudicielle d’une juridiction inférieure et que le Luxembourg ignore également les questions prioritaires de constitutionnalité qui, en France, passent par le Conseil d’Etat, en ce qui concerne les juridictions administratives, au cas où une telle question est soulevée devant les juridictions inférieures, étant donné qu’au Luxembourg, la juridiction auprès de laquelle est soulevée une question de conformité d’une loi à la Constitution peut soumettre celle-ci directement à la Cour constitutionnelle, par le biais d’une question préjudicielle.

Au Luxembourg, la juridiction administrative suprême n’a pas non plus à jouer un rôle de régulateur afin de déterminer les compétences qui reviennent aux différentes juridictions inférieures, puisqu’il n’existe qu’une seule juridiction inférieure, à savoir le tribunal administratif, compétent pour l’intégralité du territoire luxembourgeois, qui constitue la seule juridiction de première instance, en dessous de la Cour administrative qui, à l’heure actuelle, constitue la juridiction administrative suprême.

La seule fonction régulatrice à exercer par la Cour administrative suprême luxembourgeoise ne peut partant porter que sur son rôle de régulateur du droit, en ce qu’elle constitue l’autorité qui est compétente pour décider en dernier ressort du sens de la loi – ce qui est la caractéristique de toute juridiction suprême – de sorte à participer ainsi d’une certaine manière à l’exercice du pouvoir législatif. Il lui incomberait ainsi de fixer une ligne unique ou, au moins, de tenter de fixer une telle ligne, dans l’application du droit, en disant le droit dans la continuité, afin d’éviter ainsi tout clivage entre les décisions des juridictions inférieures. Cette mission de la juridiction suprême aurait ainsi pour but d’assurer l’unité de la jurisprudence, notamment des juridictions inférieures, afin d’assurer la sécurité juridique qui est le garant de la confiance, notamment du public, dans la justice. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, il incomberait ainsi à cette Cour de déterminer, directement ou indirectement, la règle de droit à adopter ou à mettre en œuvre par rapport à une question juridique déterminée, et ceci afin d’assurer un certain ordre ou une certaine cohérence au sein des juridictions administratives, en application du principe de la bonne administration de la justice. Or, un tel rôle de régulation se pose essentiellement sinon même exclusivement au cas où il existe plusieurs tribunaux voire cours inférieures à la juridiction administrative suprême. Or, à cet égard également, la situation du Luxembourg est quelque peu particulière, et a, d’ailleurs, évolué au fil de son histoire.

Le juge de dernière instance peut soit être un juge d’appel, disposant d’une plénitude de compétence pour juger tant des faits que du droit soit être seulement un juge de cassation, de sorte à ce que suivant les pays examinés, les missions et rôles des juges de dernière instance peuvent être fondamentalement différents.

En outre, la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes peut évoluer dans le temps et, le cas échéant aussi, suivant les compositions voire les ambitions de la juridiction administrative suprême.

Il échet encore de relever au titre des remarques préliminaires qu’en tout cas en ce qui concerne le Luxembourg, il n’existe aucune procédure spécifique de « régulation », de sorte que cette mission s’exerce par la Cour administrative suprême dans le cadre de ses compétences normales. Il lui appartient ainsi de trouver une solution à la contradiction de décisions juridictionnelles de la juridiction inférieure, en essayant d’harmoniser la jurisprudence, en tentant d’assurer que les juges du fond de la juridiction inférieure appliquent le même droit. C’est ainsi que le juge suprême a le privilège d’avoir le « dernier mot ».

Dans le cadre de l’exercice de sa mission normative, la juridiction administrative suprême doit assurer la conformité au droit des jugements et arrêts qui peuvent lui être déférés, en exerçant également un contrôle qui peut être qualifié de « disciplinaire » des décisions juridictionnelles lui soumises, en vérifiant la qualité de la motivation des jugements ou arrêts lui déférés afin de sanctionner tant un défaut qu’une contradiction de motifs. La juridiction administrative suprême peut ainsi se trouver en concurrence avec le législateur, en ce qu’il sera le cas échéant amené à dégager une solution par l’interprétation de la loi, en utilisant des formules à portée générale. C’est ainsi que dans ce contexte, on a pu utiliser la notion de « loi en action », en ce que la juridiction suprême sera amenée à interpréter la loi de manière à ce qu’elle puisse s’appliquer à tous de la même manière.

Dans le cadre de mes développements, je vais partant me concentrer sur la seule fonction régulatrice qui appartient, à mon sens, à la juridiction administrative suprême luxembourgeoise, qui est celle de la régulation de la jurisprudence. A cet effet, je vais brièvement jeter un regard en arrière, sur la situation ayant préexisté à la création des juridictions administratives luxembourgeoises actuelles, avant d’examiner la situation actuelle et, enfin, je vais brièvement vous faire part de quelques réflexions quant au projet de création d’une Cour suprême au Luxembourg, en essayant, à chaque fois, de porter un regard critique et personnel, en tant que juge de première instance, par rapport au modèle présenté.

Je vais ainsi tout d’abord jeter un bref regard vers le passé, en vous parlant du Comité du contentieux du Conseil d’Etat ayant exercé ses fonctions jusqu’au 31 décembre 1996, avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, avec effet au 1er janvier 1997.

I. Un bref regard vers le passé: Le Comité du contentieux du Conseil d’Etat.

A) Le cadre institutionnel

S’il est vrai que le Conseil d’Etat n’a été créé qu’en 1856, par l’article 76, alinéa 2 de la Constitution de 1856, afin de former un contrepoids au pouvoir législatif, il s’agit en réalité d’une renaissance puisque le Luxembourg a partagé le Conseil d’Etat avec les Français depuis son origine en l’an VIII, étant donné qu’il a été institué par la Constitution du 22 brumaire An VIII, à une époque où le Luxembourg, en tant que département des Forêts, faisait partie de la République française. S’il est vrai qu’à cette époque le Conseil d’Etat français avait également des compétences juridictionnelles, son rôle n’était toutefois que consultatif, dans le cadre d’une structure étatique pyramidale, en quelque sorte monarchique, de sorte à constituer ainsi un système de justice retenue.

Par la suite, et au fil du temps, et plus particulièrement à la suite de la constitution d’un Etat luxembourgeois indépendant, en application tout d’abord du congrès de Vienne de 1815 et plus tard du Traité de Londres du 19 avril 1839, le rôle et les missions du Conseil d’Etat ont évolué en suivant en cela également le régime institutionnel en place pour aboutir en l’an 1856 à la création d’une juridiction administrative revenant, d’une manière accessoire, au Conseil d’Etat nouvellement créé, constituant essentiellement un instrument du pouvoir exécutif en vue de pouvoir mieux contrôler les institutions locales et leur velléités d’émancipation libérales.

A sa création, et pour les 140 ans à suivre, le Conseil d’Etat, dont les membres furent directement nommés par le Roi Grand-Duc, remplit une fonction double, à savoir, tout d’abord, une fonction législative, en ce que son avis était obligatoire préalablement au vote de toute loi et à la publication de tout règlement, avec la possibilité de s’opposer à tout projet de loi qui lui déplut, en exerçant ainsi les fonctions d’une seconde chambre législative et, en deuxième lieu, la fonction d’une juridiction administrative suprême, par le biais de son comité du contentieux. Il échet de relever à ce titre qu’en l’absence de juridictions administratives de première instance à compétence générale, il était en même temps le seul juge administratif dans la plupart des matières. Ainsi, dès la mise en place du Conseil d’Etat, il n’était plus possible aux tribunaux judiciaires de critiquer, voire d’annuler les décisions de l’administration. Au fil du temps, et au cours des décennies à suivre, le Conseil d’Etat s’émancipait de plus en plus du pouvoir exécutif et à la suite de plusieurs réformes, il devint le protecteur du citoyen contre l’arbitraire de l’administration. C’est ainsi que jusqu’au 31 décembre 1996, le comité du contentieux du Conseil d’Etat constituait la juridiction suprême en matière administrative.

B) Les imperfections et faiblesses du comité du contentieux du Conseil d’Etat et l’absence d’une fonction régulatrice

Des critiques se firent entendre et on reprocha au comité du contentieux du Conseil d’Etat l’absence de deux degrés de juridiction, ce qui fut considéré comme intolérable surtout en cas de décisions – comme les sanctions disciplinaires – s’apparentant à des sanctions pénales, la limitation de la compétence du Conseil d’Etat aux décisions administratives individuelles, c’est-à-dire l’absence d’une compétence d’annulation par rapport aux actes administratifs à caractère règlementaire, ainsi que la nomination des membres du Conseil d’Etat en fonction de leur appartenance politique. En définitive, ce fut surtout la critique ayant trait au cumul des fonctions législative et juridictionnelle, entraînant que l’indépendance et l’impartialité des juges administratifs n’étaient pas garanties, qui aboutit à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 septembre 1995 (arrêt Procola) qui dénia au Conseil d’Etat son impartialité structurelle, en ce qu’il était amené à appliquer et à interpréter des textes normatifs qu’il avait déjà avisés précédemment. Ledit arrêt Procola constitue ainsi le fait déclencheur de la création des nouvelles juridictions administratives par la loi précitée du 7 novembre 1996 qui constituait à l’époque l’aboutissement d’une longue discussion quant à la question de savoir s’il y avait lieu de maintenir deux ordres de juridiction séparés, à savoir, d’un côté, l’ordre judiciaire, comprenant les juges civils, commerciaux et pénaux et, d’un autre côté, l’ordre administratif, ou s’il y avait lieu de fusionner à cette occasion les deux ordres, cette dernière solution ayant été rejetée non seulement pour des raisons historiques mais probablement également émotionnelles.

Quant à la fonction régulatrice du comité du contentieux du Conseil d’Etat, il échet de constater que cette question ne se posait tout simplement pas, étant donné que la juridiction administrative suprême de l’époque statuait en première et dernière instance, à l’exception toutefois des affaires ayant trait aux contributions directes, au sujet desquelles le directeur de l’administration des Contributions directes constituait un juge de première instance, ce qui, toutefois, lui fut dénié par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 mars 1993 décidant, sur question préjudicielle, qu’il n’était pas à considérer comme une juridiction du fait qu’il exerçait tant une compétence pour connaître des réclamations dirigées contre les bulletins d’impôt que celle de juridiction de première instance en matière de contributions directes. C’est ainsi qu’on se trouvait à l’époque dans une situation dans laquelle la loi prévoyait un double degré de juridiction, mais dans laquelle le premier degré n’était pas reconnu comme tel par la haute juridiction européenne.

Il échet partant de conclure au vu des éléments qui précèdent qu’à défaut de juridictions inférieures à la juridiction administrative suprême, celle-ci ne pouvait exercer une quelconque fonction régulatrice.

Nous en venons maintenant à la situation telle qu’elle existe actuellement au Luxembourg, afin d’examiner plus particulièrement la fonction régulatrice de la juridiction administrative suprême actuelle.

II. La situation actuelle, les juridictions administratives luxembourgeoises

A) Le cadre institutionnel

Par la loi du 7 novembre 1996 ont été créées les juridictions de l’ordre administratif, séparées de l’ordre judiciaire, comprenant, en tant que première instance, un tribunal administratif compétent pour l’intégralité du territoire luxembourgeois et composé actuellement de 13 juges et, en tant que deuxième et dernière instance, une Cour administrative composée de 5 magistrats, compétente également pour l’ensemble du territoire luxembourgeois. Contrairement à l’ordre judiciaire, l’ordre administratif ne dispose pas d’un troisième degré juridictionnel, en ce qu’il n’existe pas au sein de cet ordre une Cour de cassation voire un Conseil d’Etat, statuant en matière de cassation.

Les deux juridictions statuent chaque fois en fait et en droit, de sorte qu’il n’existe aucune différence quant aux attributions à exercer par chaque instance.

Sous ce régime actuellement en vigueur, la Cour administrative constitue la juridiction administrative suprême du Grand-Duché de Luxembourg. Ainsi, la Cour administrative procède à un réexamen du litige en fait et en droit. Contrairement au régime ayant préexisté à la création des nouvelles juridictions administratives, les membres des juridictions sont exclusivement des juges professionnels siégeant en principe en chambres composées de trois magistrats, à l’exception des ordonnances rendues par le tribunal en matière de référé administratif et une nouvelle procédure accélérée pour les demandes de protection internationale ayant été déclarées manifestement infondées par le gouvernement, procédures qui consacrent le principe du juge unique. L’appel constitue ainsi une garantie de bonne justice, en ce qu’il permet de corriger des erreurs – en fait et en droit – et oblige les juges de premier degré à motiver convenablement leurs décisions. Il est donc important de retenir que le juge administratif d’appel ne constitue pas, en droit luxembourgeois, un juge de cassation.

Il est également important de relever qu’en application de l’article 95, paragraphe 2 de la Constitution, la Cour supérieure de justice, à savoir la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, est compétente pour connaître des conflits d’attribution. Cette disposition date d’une époque où il n’existait pas d’ordre juridictionnel administratif. Il semble que désormais la Cour supérieure de justice, relevant exclusivement de l’ordre judiciaire, soit compétente non seulement pour les conflits des juridictions à l’intérieur de l’ordre judiciaire, mais également pour les conflits pouvant surgir entre les juridictions judiciaires et administratives. Il s’agit en l’espèce d’une anomalie qui pourrait le cas échéant être réparée par le projet de création d’une Cour suprême, auquel nous reviendrons tout à l’heure.

Il échet encore de conclure du système actuellement en place qu’une vraie unité de jurisprudence s’avère être difficile du fait qu’il n’existe pas de juridiction suprême se trouvant à la tête à la fois des juridictions de l’ordre judiciaire et de celles de l’ordre administratif. En effet, la Cour administrative constituant la juridiction suprême de l’ordre administratif, en cas de contrariété de jurisprudences entre la Cour de cassation, de l’ordre judiciaire, et la Cour administrative – événement heureusement rare, tellement les matières dans lesquelles ces deux juridictions sont compétentes sont différentes – aucune juridiction n’est compétente pour assurer l’unité. Ensuite, il y a un risque de contrariété entre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, d’une part, et respectivement celles de la Cour de cassation et de la Cour administrative, d’autre part, comme cela a pu être constaté dans la pratique.

Pour revenir à la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême, au sein de l’ordre administratif, on peut s’interroger sur l’objet et le but de cette fonction, du fait qu’il n’existe qu’un seul tribunal administratif au Luxembourg, dont les décisions peuvent être déférées, en appel, à ladite cour. Il est vrai que ledit tribunal administratif est actuellement composé de 4 chambres différentes dont les décisions sont évidemment susceptibles de se contredire. Ainsi, la seule fonction régulatrice se résumerait à dégager, des jurisprudences divergentes, une solution commune qui devrait par la suite s’imposer à l’ensemble des chambres du tribunal.

Comme la Cour administrative prévoit en son sein également des chambres de compositions différentes, le risque que lesdites chambres se contredisent en son sein même n’est pas non plus exclu. A défaut d’une disposition légale prévoyant une composition formée par un nombre plus élevé de magistrats voire la possibilité de statuer en assemblée plénière ou en chambres réunies, il est difficile, à l’heure actuelle, pour la Cour administrative d’assurer sa fonction régulatrice dans de bonnes conditions.

On peut partant constater de ce qui précède que la fonction régulatrice de la juridiction administrative suprême luxembourgeoise est assez modeste et même imparfaite. Il n’en reste pas moins que la Cour administrative peut faire assurer le respect de la loi, au cas où celle-ci se trouve être violée, en redressant l’erreur commise, en garantissant ainsi la qualité de la justice rendue par les juges du fond.

Afin de palier l’imperfection relevée ci-avant, on pourrait imaginer que la Cour administrative pourrait introduire en son sein un mécanisme de détection des divergences de jurisprudences constatées non seulement au niveau du tribunal mais également en son sein, en essayant de résoudre celles-ci par la création de chambres mixtes dont la solution s’imposerait ainsi non seulement à toutes les chambres du tribunal administratif mais également à l’ensemble de la Cour suprême. Toutefois, une telle mesure nécessiterait une modification législative qui ne se trouve pas à l’ordre du jour à l’heure actuelle, mais qui aurait toutefois le mérite de pouvoir assurer ainsi l’unité de la jurisprudence administrative au Luxembourg. Reste toutefois la question de savoir quelle solution il y aurait lieu de prévoir au cas où les juridictions inférieures ne respecteraient pas la solution retenue par la juridiction suprême, qui constitue toutefois un problème courant au sujet duquel il n’existe probablement aucune solution parfaite.

Enfin, il échet de relever que lors d’une délibération en date du 12 novembre 2009, la Cour administrative a tenté d’exercer une fonction régulatrice, non légalement prévue, ayant pour objet d’obliger les juges de la première instance à rendre leurs décisions dans un délai de 5 semaines à partir de la prise en délibéré des affaires, et ceci afin d’accélérer l’évacuation de celles-ci, en l’absence d’un délai du prononcé fixé, à l’heure actuelle, par une quelconque disposition légale ou réglementaire. A part le fait que se pose la question de savoir si la juridiction administrative suprême était en droit de prendre une telle disposition d’ordre général, en l’absence de base légale, il échet de constater que malgré le fait que le tribunal n’a pas toujours pu suivre l’invitation plus que chaleureuse lui adressée ainsi par les juges suprêmes, aucune conséquence directe n’en a été tirée, une telle manière de procéder par la Cour administrative soulevant également la question de l’indépendance du juge et celle de la compétence du président du tribunal administratif de gérer au mieux sa juridiction dans le sens d’une bonne administration de la justice.

J’en viens maintenant à quelques remarques critiques, ainsi qu’à l’exposé de quelques attentes de la part d’un juge de première instance vis-à-vis de l’exercice de la fonction régulatrice à exercer par sa juridiction suprême.

B) Réflexions et attentes du juge de première instance quant à la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême

Je ne suis pas sûr si les juges de la Cour administrative suivent le souhait exprimé par l’un de leurs anciens présidents suivant lequel « les juges du second degré feraient bien d’aborder avec la plus grande modestie les solutions dégagées par leurs collègues de première instance dont ils ont à évaluer les raisonnements ». Quoi qu’il en soit, il importe pour les juges du deuxième et dernier degré, tel que c’est le cas au Luxembourg, non seulement de trouver la solution la plus juste par rapport au litige leur soumis, mais également de convaincre les juges de première instance du bien-fondé de leur argumentation, surtout au cas où celle-ci se trouve être contraire à celle développée par les juges du premier degré. Ainsi, les juges suprêmes assument également un rôle pédagogique, en ce qu’ils devraient être amenés à répondre de manière claire et argumentée à la motivation utilisée par les premiers juges à l’appui de leur décision, afin que ces derniers puissent non seulement suivre l’argumentation contraire à la leur pour en comprendre la teneur, mais également se laisser convaincre par la solution qu’ils devraient dorénavant adopter dans le cadre des litiges qui leur seront soumis à l’avenir. Ceci est d’autant plus important dans les hypothèses dans lesquelles les juges de première instance ont longuement motivé leur jugement pour aboutir à une solution, et leur frustration est d’autant plus grande si, au niveau de la Cour suprême, ils se voient réformer leur jugement plutôt par affirmation péremptoire que par argumentation. Au niveau d’une Cour suprême, il existe en effet le risque, au fil des années, de s’habituer à avoir toujours raison, et de procéder partant par affirmation, ce qui est d’autant plus dangereux dans un pays de la taille du Luxembourg où il existe peu ou pas de doctrine, de sorte qu’également les décisions de la Cour suprême ne se trouvent plus contestées par la suite, de sorte qu’il manque l’effet « miroir » qui permettrait aux juges suprêmes de reconsidérer leurs décisions, au moins à un niveau purement intellectuel, pour, le cas échéant, ajuster à l’avenir la solution qu’ils estimaient définitive auparavant. Ce qui est vrai pour le juge de première instance est également vrai pour le justiciable qui doit avoir le sentiment que justice a été rendue, de sorte qu’également au niveau de la dernière instance de l’ordre juridictionnel, il existe une nécessité voire une obligation de procéder par une motivation complète et compréhensible. En outre, comme toute vérité juridique est toujours relative, et afin d’assurer la prévisibilité de la jurisprudence en assurant également la sécurité juridique, il importe que les solutions retenues au niveau de la Cour administrative suprême soient convaincantes et puissent être maintenues dans la durée, afin que les juges de première instance disposent ainsi de lignes directrices par rapport auxquelles ils peuvent s’orienter dans le cadre des litiges qui leur seront soumis. Il en va également de la qualité de la jurisprudence, le tout dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Il échet dans ce contexte de relever un exemple assez caractéristique d’il y a quelques années, à une époque où le tribunal n’était composé que de trois chambres, qui avaient essayé de résister à une jurisprudence antérieure de la Cour administrative, en matière de procédure administrative non contentieuse et portant plus particulièrement sur la motivation des décisions administratives, avec laquelle les membres de l’époque du tribunal n’étaient pas d’accord. Ainsi, dans un laps de temps de quelques semaines, les trois chambres, sur base d’ailleurs d’une motivation largement similaire, et très détaillée, avaient essayé de faire comprendre à leur juridiction suprême les motifs pour lesquels elles ne pouvaient plus marquer leur accord avec une jurisprudence d’ailleurs assez constante des années antérieures de la Cour administrative en la matière. Celle-ci, sur appels lui adressés à l’encontre des jugements du tribunal, a procédé par affirmation, sans rentrer dans le détail de l’argumentation développée sur de multiples pages dans les jugements afférents. La Cour administrative suprême a ainsi statué par voie d’autorité, en exerçant, il est vrai, sa fonction régulatrice, mais sans essayer de convaincre les premiers juges de la justesse de son raisonnement, en essayant d’exposer des arguments plus forts que ceux utilisés par les premiers juges pour aboutir à leur solution. Une telle manière de procéder ne peut qu’aboutir à des frustrations et incompréhensions au niveau de la première instance qui, toutefois, dans le cas d’espèce, s’est résignée à « obéir » en reprenant son ancienne jurisprudence avant sa « révolution » à l’égard de la Cour administrative.

Une situation similaire s’est présentée il y a quelques années dans le cadre d’un litige ayant eu pour objet de déterminer, en matière de protection internationale, si le Kosovo était à considérer comme constituant un pays d’origine sûr, litige à l’aboutissement duquel une chambre du tribunal était arrivée à la conclusion, après de très nombreuses pages d’argumentations et de développements, que tel n’était pas le cas, la Cour, sur appel, s’étant contentée à procéder par voie d’affirmation générale et abstraite pour contredire les conclusions du tribunal, sans rentrer dans les détails de celles-ci. Il est évident qu’en procédant de la sorte, la juridiction suprême n’a pas exercé sa fonction régulatrice de manière satisfaisante, ni pour les parties à l’instance ni pour la juridiction inférieure. Il est vrai que les approches ainsi adoptées par la juridiction suprême dépendent toujours des ambitions et vues de ses membres et peut également évoluer au fil du temps suivant la composition de cette juridiction. Il n’en reste pas moins qu’il échet d’insister sur l’importance d’une bonne motivation des décisions juridictionnelles, qu’elles soient de première ou de dernière instance, ceci constituant le seul garant de la légitimité du pouvoir juridictionnel, celui-ci ne s’exerçant plus par la grâce de Dieu.

J’en viens maintenant à un projet de réforme discuté depuis quelques années quant à la création d’une Cour suprême destinée à chapoter tant l’ordre judiciaire que l’ordre administratif.

III. Un projet de réforme en cours: La création d’une Cour suprême

A) Le contenu du projet de réforme

Comme il a été vu ci-avant, il n’existe pas, au sein de l’ordre administratif, un troisième degré juridictionnel, c’est-à-dire il n’existe pas de procédure de cassation en matière administrative. Ainsi, afin d’assurer un parallélisme des formes avec les matières civile, commerciale et pénale, qui disposent d’une procédure de cassation auprès de la Cour de cassation, reprise d’ailleurs du modèle français, considéré comme étant « prestigieux » et ce, non pas de manière volontaire, mais de manière forcée, puisqu’au moment de son introduction, le Luxembourg faisait partie de la France, en tant que département des Forêts, le système ayant, il est vrai, été maintenu d’une manière volontaire par la suite, en raison d’une fidélité au moins intellectuelle au modèle français d’une cour suprême au Luxembourg, certains arrêts de ladite Cour de cassation luxembourgeoise parlant d’ailleurs de « Cour régulatrice », n’exerçant cette fonction que vis-à-vis d’une seule Cour d’appel compétente pour l’intégralité du territoire luxembourgeois. Alors que le manque ainsi constaté au sein de l’ordre administratif aurait tout aussi bien pu être réparé par le fait d’enlever la Cour de cassation de l’ordre judiciaire justement en raison de ce que la fonction régulatrice exercée par elle aurait pu être remplacée par un système interne à la Cour d’appel, par le biais de chambres mixtes voire de la possibilité d’y réunir une assemblée plénière, et comme il est toujours difficile d’enlever une institution prestigieuse dans quelque domaine que ce soit, il semble être préféré, au niveau politique, et ceci aussi afin de ne heurter personne, d’introduire un troisième degré de juridiction au sein de l’ordre administratif, compétent également pour l’ordre judiciaire, en remplacement de l’actuelle Cour de cassation, afin de permettre également l’annulation des arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions administratives, en cas de contradiction à la loi ou de violation des formes. Il s’agirait ainsi de créer un organe qui n’aurait que des compétences de cassation, se résumant aux seules questions de droit, alors que l’actuelle Cour administrative suprême, statuant en dernière instance, contrôle tant les questions de droit que de fait.

Ainsi, la Cour suprême projetée aurait des fonctions largement similaires à celles exercées par la Cour de cassation à l’heure actuelle. Quant à sa composition, il est prévu d’y faire nommer 7 conseillers choisis parmi les magistrats de l’ordre judiciaire et 2 conseillers à choisir au sein de l’ordre administratif, de sorte qu’il ne serait pas possible de composer une chambre à trois juges spécialisée en droit administratif, ce qui pourrait être considéré comme étant l’un des points faibles dudit projet. Cette Cour suprême se verrait également attribuer des compétences en matière de règlement des conflits d’attribution et de règlement de juges, pour pallier la faiblesse du régime actuel, tel que relevé ci-avant, en reprenant également les compétences actuelles de la Cour constitutionnelle qui serait alors vouée à la disparition. Ce projet constituerait une réforme majeure du système juridictionnel luxembourgeois, en prévoyant une organisation judiciaire plus cohérente, lisible et compréhensible, de nature à éviter, tel que cela pourrait être le cas à l’heure actuelle, une contrariété des jurisprudences de la Cour administrative et de la Cour de cassation, les cas de contrariétés de jurisprudences étant, comme il vient d’être relevé ci-avant, toutefois très rares, du fait que les matières traitées par les deux ordres juridictionnels sont quand même très différentes. L’institution d’une Cour suprême permettrait également de pallier les contrariétés de jurisprudences entre la Cour constitutionnelle, d’une part, et les Cours de cassation et administrative, d’autre part. Enfin, au lieu de créer une juridiction de cassation séparée pour l’ordre administratif, la taille réduite du pays commanderait, d’après les auteurs du projet, la création d’une juridiction suprême unique pour les deux ordres de juridiction et ceci dans un sens d’efficacité et d’économie de moyens budgétaires.

Le but déclaré de ce projet de réforme serait d’assurer une unité effective de la jurisprudence, en reléguant ainsi la Cour administrative actuelle en tant que simple juridiction d’appel, lui enlevant ainsi la qualification de juridiction administrative suprême.

Les juridictions administratives ne semblent toutefois pas être très enthousiastes vis-à-vis de cette réforme et elles ont fait parvenir leurs critiques au gouvernement au cours de l’élaboration du projet de réforme, qui n’est toujours pas déposé au parlement.

B) Des réflexions critiques de la part des juridictions administratives par rapport au projet de réforme ayant pour objet la création d’une Cour suprême

Les juridictions administratives mettent en doute la nécessité de créer voire de maintenir une instance de cassation au sein des ordres juridictionnels, au vu de la taille du pays et du fait que chaque ordre juridictionnel n’a qu’une seule instance d’appel, de sorte que la fonction régulatrice d’une telle Cour suprême serait assez réduite. En outre, le fait de rajouter une troisième instance juridictionnelle au sein de l’ordre administratif serait de nature à rallonger les procédures, en ajoutant de fait un quatrième degré de contrôle, à la suite d’un premier contrôle de légalité qui serait déjà effectué par l’administration. Du fait de l’allongement considérable de la durée de la procédure administrative, il existerait un risque de paralysie de l’action administrative. Or, les autorités publiques auraient un intérêt à une évacuation rapide des litiges en droit administratif, afin de ne pas freiner l’action de l’administration et ceci afin de garantir la stabilité des décisions administratives, ainsi que la sécurité juridique dans le but de connaître rapidement la légalité voire le bien-fondé d’une décision administrative. L’instauration d’une troisième voie de recours serait ainsi de nature à rallonger les délais pour l’obtention d’une décision définitive, avec la réserve toutefois qu’en principe, les décisions administratives peuvent être exécutées pendant le cours de l’instance contentieuse, à l’exception des cas où, par une ordonnance de référé administratif, le sursis a été ordonné, ce qui serait de nature à avoir des conséquences encore plus graves pour l’administration.

Les juridictions administratives critiquent également le fait que la Cour suprême ne serait pas en mesure de disposer de magistrats en nombre suffisant spécialisés en droit administratif.

Il échet encore de relever le problème particulier que font apparaître les litiges à traiter suivant des procédures accélérées dans des délais très courts, concernant plus particulièrement les mesures de rétention administrative, voire les procédures accélérées en matière de protection internationale, alors que surtout en ce qui concerne ces dernières, les demandeurs de protection internationale auraient intérêt à introduire un pourvoi en cassation au vu de l’effet suspensif attaché à l’introduction de leur recours devant le tribunal administratif. En ce qui concerne les mesures de rétention administrative, la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation serait de nature à mettre la juridiction suprême en difficulté au vu des délais très courts dans lesquels une décision juridictionnelle définitive devrait être rendue. C’est ainsi que les juridictions administratives s’interrogent sur la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’instaurer un système de filtrage des pourvois en cassation pour faire face à un afflux de pourvois, ayant le cas échéant pour but un simple effet dilatoire surtout, comme il vient d’être indiqué ci-avant, en matière de protection internationale, de sorte qu’un tel système de filtrage permettrait d’écarter des pourvois manifestement irrecevables ou injustifiés.

En outre, comme le rôle de régulateur du droit appartiendrait ainsi à la Cour suprême, les juridictions inférieures, à savoir le tribunal administratif et la Cour administrative, devraient s’abstenir de statuer sur la même question juridique que celle qui a été soulevée devant ladite Cour suprême, tant que celle-ci n’a pas statué, de sorte à entraîner ainsi un délai d’attente de nature à rallonger le délai d’évacuation des dossiers. En outre, même au niveau de la Cour suprême, des divergences de jurisprudences seraient possibles, que ce soit au sein de la même chambre ou entre deux ou plusieurs chambres différentes, de sorte que la fonction régulatrice ne serait de toute façon pas évidente à exercer de manière satisfaisante.

Enfin, et en raison du fait que déjà à l’heure actuelle, le recrutement de juges constitue un grave problème au Luxembourg à défaut de candidats en nombre et en qualifications suffisantes, les juridictions administratives craignent que par le fait de créer la Cour suprême, deux magistrats chevronnés en droit administratif devraient nécessairement rejoindre celle-ci, de sorte que ces personnes manqueraient au sein des juridictions administratives, en enlevant ainsi à celles-ci des compétences et expériences professionnelles recherchées.

Au lieu de procéder par voie de création d’une Cour suprême, pour le moins en ce qui concerne l’ordre administratif, il serait peut-être plus efficace, et moins onéreux, de prévoir la possibilité de faire siéger des chambres réunies en assemblée générale plénière au sein de la Cour administrative actuelle, au cas où deux ou plusieurs chambres de celle-ci adopteraient des positions différentes au sujet d’une même question juridique.

Quoi qu’il en soit, le projet de création de la Cour suprême nécessite une modification de la Constitution dont une refonte globale est également en discussion depuis des années, de sorte qu’à l’heure actuelle, il est encore difficile d’apprécier dans quel sens cette réforme va s’orienter. Il est vrai que les barreaux des avocats semblent être en faveur de la mise en place d’une troisième voie de recours au sein de l’ordre administratif, afin de permettre ainsi l’annulation des arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions administratives en cas de contravention à la loi ou pour violation des formes, mais on peut s’interroger sur la question de savoir si ce souhait n’est pas pour le moins également motivé par la considération d’une augmentation du volume de travail rémunéré dont pourraient ainsi profiter les membres du barreau.

Après ce bref survol de l’évolution de la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême au Luxembourg au fil du temps, j’en viens à quelques éléments de réflexion en guise de conclusion.

Conclusion

Permettez-moi tout d’abord d’insister sur l’importance des juridictions administratives qui sont le garant d’un Etat de droit et qui ont une importance primordiale afin de maintenir l’équilibre entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, afin d’assurer avec le rôle et la mission qui leur incombe, une séparation, et non pas une collaboration, des pouvoirs. Ainsi, il leur incombe de veiller au respect par le pouvoir exécutif de ses propres lois et règlementations, y compris les principes généraux du droit, les conventions internationales et le droit communautaire. Le rôle et la vigilance des juridictions administratives, également dans les Etats membres de l’Union européenne, sont d’autant plus importants au regard des évolutions récentes en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie, sans parler de la Turquie qui semble également avoir le souhait de rejoindre l’Union européenne.

L’indépendance des juridictions administratives et la qualité ainsi que les hautes qualifications professionnelles exigées par ses membres sont le garant de l’Etat de droit. A l’heure actuelle, et ceci depuis quelques années, les juridictions sont également soumises aux contraintes liées à la productivité, à l’efficacité, au rendement, ainsi qu’à la compétitivité, quasiment au même titre que les entreprises privées, ce qui est de nature à menacer le système dans son ensemble, et ce au détriment de la qualité de la justice, de la formation des juges et de l’indépendance de la justice. S’il est vrai qu’évidemment les statistiques ont leur importance dans le cadre d’une bonne gestion d’une juridiction administrative, il faut toutefois s’opposer au « diktat » de celles-ci, en essayant de garder un équilibre sain entre les critères qualitatifs et quantitatifs de la production à assurer par nos juridictions. Ainsi, et pour revenir à la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes, il importe d’insister sur le fait qu’afin que ladite fonction puisse être assurée dans de bonnes conditions les juges chargés de cette haute mission doivent avoir le temps de réfléchir à une solution de nature à durer, au lieu de prendre le risque de devoir la changer rapidement. Il en va de la sécurité juridique et de la prévisibilité des solutions à adopter à l’avenir par les juridictions notamment administratives.

La fonction régulatrice d’une Cour administrative suprême doit également s’exercer au sein de dialogues à mettre en place non seulement au niveau horizontal mais également au niveau vertical. Ainsi, et en ce qui concerne plus particulièrement le niveau horizontal, ce dialogue doit s’instaurer avec non seulement d’autres Cours suprêmes d’autres pays notamment de l’Union européenne, ayant en commun un droit européen à appliquer de préférence de manière identique, mais également avec les juridictions supranationales, telles que la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, entraînant que ces hauts magistrats devraient se concerter le cas échéant dans un cadre informel afin d’assurer la cohérence de l’interprétation des textes et des normes qui leur sont communs et qu’ils sont amenés à appliquer dans le cadre de leur mission.

Le dialogue vertical, avec les juridictions inférieures, qui n’est évidemment pas parfait, fonctionne du fait que les juridictions inférieures devront en principe respecter les décisions « régulatrices » prises par la Cour suprême, et ce dialogue est d’autant plus fructueux, comme il a été relevé ci-avant, si la Cour suprême utilise une motivation claire et circonstanciée afin de convaincre les juges d’un tribunal inférieur du bien-fondé de leur argumentation, surtout si celle-ci aboutit à un résultat contraire à celui obtenu par les premiers juges.

C’est ainsi que, dans ce contexte, il échet de saluer les initiatives prises notamment par les associations internationales de magistrats dont l’AJAFIA, afin de permettre la rencontre de juges et leur échange sur des sujets de préoccupation qui leur sont communs, le tout dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et de la préservation de l’Etat de droit.

Je vous remercie de votre attention.

La fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes: le point de vue d’un juge luxembourgeois de première instance *, Carlo Schockweiler, premier vice-président du tribunal administratif de Luxembourg

Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat

Monsieur le président de l’association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA),

Messieurs les vice-présidents de l’AJAFIA,

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Je remercie l’AJAFIA de m’avoir invité à poser un regard luxembourgeois sur le thème de la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes et j’essaierai partant de me concentrer sur les spécificités luxembourgeoises, tout en essayant de formuler quelques remarques d’ordre plus général, en y incluant mon point de vue de juge de première instance. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner qu’en ma qualité de juge de première instance, je puisse avoir un regard quelque peu critique vis-à-vis du rôle et du travail d’une Cour administrative suprême dont les arrêts ne concernent pas seulement les parties à l’instance, mais s’adressent également aux juges d’une instance inférieure, en ce que ceux-ci sont tenus de s’y conformer, en cas de réformation ou d’annulation de leur jugement, en contenant le cas échéant des lignes directrices ou des principes à suivre lors d’instances contentieuses ultérieures portées devant ces derniers. Il échet dans ce contexte de relever qu’une Cour administrative suprême, comme d’ailleurs toute juridiction suprême, porte une responsabilité particulière, dans la mesure où les décisions prises par elle ne sont soumises en principe à aucun contrôle, à l’exception le cas échéant d’un recours porté devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Mais revenons tout d’abord sur le thème que nous avons à traiter aujourd’hui, à savoir celui de la régulation qui serait l’une des missions d’une Cour administrative suprême, pour nous interroger sur le sens dudit terme. Alors qu’une définition juridique de cette notion ne semble pas exister et qu’elle ne serait de toute façon pas facile à énoncer, on peut d’emblée constater qu’il existe une incertitude quant au contenu de cette notion. On peut toutefois estimer que les Cours administratives suprêmes aient également un rôle de régulateur à jouer, mais se pose alors la question de savoir dans quels domaines elles pourraient être amenées à fixer des règles voire, de manière moins contraignante, des lignes directrices.

D’emblée, il échet de relever que le Luxembourg ne connaît pas la procédure par laquelle, comme en France, des avis contentieux peuvent être rendus par la juridiction administrative suprême sur question préjudicielle d’une juridiction inférieure et que le Luxembourg ignore également les questions prioritaires de constitutionnalité qui, en France, passent par le Conseil d’Etat, en ce qui concerne les juridictions administratives, au cas où une telle question est soulevée devant les juridictions inférieures, étant donné qu’au Luxembourg, la juridiction auprès de laquelle est soulevée une question de conformité d’une loi à la Constitution peut soumettre celle-ci directement à la Cour constitutionnelle, par le biais d’une question préjudicielle.

Au Luxembourg, la juridiction administrative suprême n’a pas non plus à jouer un rôle de régulateur afin de déterminer les compétences qui reviennent aux différentes juridictions inférieures, puisqu’il n’existe qu’une seule juridiction inférieure, à savoir le tribunal administratif, compétent pour l’intégralité du territoire luxembourgeois, qui constitue la seule juridiction de première instance, en dessous de la Cour administrative qui, à l’heure actuelle, constitue la juridiction administrative suprême.

La seule fonction régulatrice à exercer par la Cour administrative suprême luxembourgeoise ne peut partant porter que sur son rôle de régulateur du droit, en ce qu’elle constitue l’autorité qui est compétente pour décider en dernier ressort du sens de la loi – ce qui est la caractéristique de toute juridiction suprême – de sorte à participer ainsi d’une certaine manière à l’exercice du pouvoir législatif. Il lui incomberait ainsi de fixer une ligne unique ou, au moins, de tenter de fixer une telle ligne, dans l’application du droit, en disant le droit dans la continuité, afin d’éviter ainsi tout clivage entre les décisions des juridictions inférieures. Cette mission de la juridiction suprême aurait ainsi pour but d’assurer l’unité de la jurisprudence, notamment des juridictions inférieures, afin d’assurer la sécurité juridique qui est le garant de la confiance, notamment du public, dans la justice. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, il incomberait ainsi à cette Cour de déterminer, directement ou indirectement, la règle de droit à adopter ou à mettre en œuvre par rapport à une question juridique déterminée, et ceci afin d’assurer un certain ordre ou une certaine cohérence au sein des juridictions administratives, en application du principe de la bonne administration de la justice. Or, un tel rôle de régulation se pose essentiellement sinon même exclusivement au cas où il existe plusieurs tribunaux voire cours inférieures à la juridiction administrative suprême. Or, à cet égard également, la situation du Luxembourg est quelque peu particulière, et a, d’ailleurs, évolué au fil de son histoire.

Le juge de dernière instance peut soit être un juge d’appel, disposant d’une plénitude de compétence pour juger tant des faits que du droit soit être seulement un juge de cassation, de sorte à ce que suivant les pays examinés, les missions et rôles des juges de dernière instance peuvent être fondamentalement différents.

En outre, la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes peut évoluer dans le temps et, le cas échéant aussi, suivant les compositions voire les ambitions de la juridiction administrative suprême.

Il échet encore de relever au titre des remarques préliminaires qu’en tout cas en ce qui concerne le Luxembourg, il n’existe aucune procédure spécifique de « régulation », de sorte que cette mission s’exerce par la Cour administrative suprême dans le cadre de ses compétences normales. Il lui appartient ainsi de trouver une solution à la contradiction de décisions juridictionnelles de la juridiction inférieure, en essayant d’harmoniser la jurisprudence, en tentant d’assurer que les juges du fond de la juridiction inférieure appliquent le même droit. C’est ainsi que le juge suprême a le privilège d’avoir le « dernier mot ».

Dans le cadre de l’exercice de sa mission normative, la juridiction administrative suprême doit assurer la conformité au droit des jugements et arrêts qui peuvent lui être déférés, en exerçant également un contrôle qui peut être qualifié de « disciplinaire » des décisions juridictionnelles lui soumises, en vérifiant la qualité de la motivation des jugements ou arrêts lui déférés afin de sanctionner tant un défaut qu’une contradiction de motifs. La juridiction administrative suprême peut ainsi se trouver en concurrence avec le législateur, en ce qu’il sera le cas échéant amené à dégager une solution par l’interprétation de la loi, en utilisant des formules à portée générale. C’est ainsi que dans ce contexte, on a pu utiliser la notion de « loi en action », en ce que la juridiction suprême sera amenée à interpréter la loi de manière à ce qu’elle puisse s’appliquer à tous de la même manière.

Dans le cadre de mes développements, je vais partant me concentrer sur la seule fonction régulatrice qui appartient, à mon sens, à la juridiction administrative suprême luxembourgeoise, qui est celle de la régulation de la jurisprudence. A cet effet, je vais brièvement jeter un regard en arrière, sur la situation ayant préexisté à la création des juridictions administratives luxembourgeoises actuelles, avant d’examiner la situation actuelle et, enfin, je vais brièvement vous faire part de quelques réflexions quant au projet de création d’une Cour suprême au Luxembourg, en essayant, à chaque fois, de porter un regard critique et personnel, en tant que juge de première instance, par rapport au modèle présenté.

Je vais ainsi tout d’abord jeter un bref regard vers le passé, en vous parlant du Comité du contentieux du Conseil d’Etat ayant exercé ses fonctions jusqu’au 31 décembre 1996, avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, avec effet au 1er janvier 1997.

I. Un bref regard vers le passé: Le Comité du contentieux du Conseil d’Etat.

A) Le cadre institutionnel

S’il est vrai que le Conseil d’Etat n’a été créé qu’en 1856, par l’article 76, alinéa 2 de la Constitution de 1856, afin de former un contrepoids au pouvoir législatif, il s’agit en réalité d’une renaissance puisque le Luxembourg a partagé le Conseil d’Etat avec les Français depuis son origine en l’an VIII, étant donné qu’il a été institué par la Constitution du 22 brumaire An VIII, à une époque où le Luxembourg, en tant que département des Forêts, faisait partie de la République française. S’il est vrai qu’à cette époque le Conseil d’Etat français avait également des compétences juridictionnelles, son rôle n’était toutefois que consultatif, dans le cadre d’une structure étatique pyramidale, en quelque sorte monarchique, de sorte à constituer ainsi un système de justice retenue.

Par la suite, et au fil du temps, et plus particulièrement à la suite de la constitution d’un Etat luxembourgeois indépendant, en application tout d’abord du congrès de Vienne de 1815 et plus tard du Traité de Londres du 19 avril 1839, le rôle et les missions du Conseil d’Etat ont évolué en suivant en cela également le régime institutionnel en place pour aboutir en l’an 1856 à la création d’une juridiction administrative revenant, d’une manière accessoire, au Conseil d’Etat nouvellement créé, constituant essentiellement un instrument du pouvoir exécutif en vue de pouvoir mieux contrôler les institutions locales et leur velléités d’émancipation libérales.

A sa création, et pour les 140 ans à suivre, le Conseil d’Etat, dont les membres furent directement nommés par le Roi Grand-Duc, remplit une fonction double, à savoir, tout d’abord, une fonction législative, en ce que son avis était obligatoire préalablement au vote de toute loi et à la publication de tout règlement, avec la possibilité de s’opposer à tout projet de loi qui lui déplut, en exerçant ainsi les fonctions d’une seconde chambre législative et, en deuxième lieu, la fonction d’une juridiction administrative suprême, par le biais de son comité du contentieux. Il échet de relever à ce titre qu’en l’absence de juridictions administratives de première instance à compétence générale, il était en même temps le seul juge administratif dans la plupart des matières. Ainsi, dès la mise en place du Conseil d’Etat, il n’était plus possible aux tribunaux judiciaires de critiquer, voire d’annuler les décisions de l’administration. Au fil du temps, et au cours des décennies à suivre, le Conseil d’Etat s’émancipait de plus en plus du pouvoir exécutif et à la suite de plusieurs réformes, il devint le protecteur du citoyen contre l’arbitraire de l’administration. C’est ainsi que jusqu’au 31 décembre 1996, le comité du contentieux du Conseil d’Etat constituait la juridiction suprême en matière administrative.

B) Les imperfections et faiblesses du comité du contentieux du Conseil d’Etat et l’absence d’une fonction régulatrice

Des critiques se firent entendre et on reprocha au comité du contentieux du Conseil d’Etat l’absence de deux degrés de juridiction, ce qui fut considéré comme intolérable surtout en cas de décisions – comme les sanctions disciplinaires – s’apparentant à des sanctions pénales, la limitation de la compétence du Conseil d’Etat aux décisions administratives individuelles, c’est-à-dire l’absence d’une compétence d’annulation par rapport aux actes administratifs à caractère règlementaire, ainsi que la nomination des membres du Conseil d’Etat en fonction de leur appartenance politique. En définitive, ce fut surtout la critique ayant trait au cumul des fonctions législative et juridictionnelle, entraînant que l’indépendance et l’impartialité des juges administratifs n’étaient pas garanties, qui aboutit à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 septembre 1995 (arrêt Procola) qui dénia au Conseil d’Etat son impartialité structurelle, en ce qu’il était amené à appliquer et à interpréter des textes normatifs qu’il avait déjà avisés précédemment. Ledit arrêt Procola constitue ainsi le fait déclencheur de la création des nouvelles juridictions administratives par la loi précitée du 7 novembre 1996 qui constituait à l’époque l’aboutissement d’une longue discussion quant à la question de savoir s’il y avait lieu de maintenir deux ordres de juridiction séparés, à savoir, d’un côté, l’ordre judiciaire, comprenant les juges civils, commerciaux et pénaux et, d’un autre côté, l’ordre administratif, ou s’il y avait lieu de fusionner à cette occasion les deux ordres, cette dernière solution ayant été rejetée non seulement pour des raisons historiques mais probablement également émotionnelles.

Quant à la fonction régulatrice du comité du contentieux du Conseil d’Etat, il échet de constater que cette question ne se posait tout simplement pas, étant donné que la juridiction administrative suprême de l’époque statuait en première et dernière instance, à l’exception toutefois des affaires ayant trait aux contributions directes, au sujet desquelles le directeur de l’administration des Contributions directes constituait un juge de première instance, ce qui, toutefois, lui fut dénié par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 mars 1993 décidant, sur question préjudicielle, qu’il n’était pas à considérer comme une juridiction du fait qu’il exerçait tant une compétence pour connaître des réclamations dirigées contre les bulletins d’impôt que celle de juridiction de première instance en matière de contributions directes. C’est ainsi qu’on se trouvait à l’époque dans une situation dans laquelle la loi prévoyait un double degré de juridiction, mais dans laquelle le premier degré n’était pas reconnu comme tel par la haute juridiction européenne.

Il échet partant de conclure au vu des éléments qui précèdent qu’à défaut de juridictions inférieures à la juridiction administrative suprême, celle-ci ne pouvait exercer une quelconque fonction régulatrice.

Nous en venons maintenant à la situation telle qu’elle existe actuellement au Luxembourg, afin d’examiner plus particulièrement la fonction régulatrice de la juridiction administrative suprême actuelle.

II. La situation actuelle, les juridictions administratives luxembourgeoises

A) Le cadre institutionnel

Par la loi du 7 novembre 1996 ont été créées les juridictions de l’ordre administratif, séparées de l’ordre judiciaire, comprenant, en tant que première instance, un tribunal administratif compétent pour l’intégralité du territoire luxembourgeois et composé actuellement de 13 juges et, en tant que deuxième et dernière instance, une Cour administrative composée de 5 magistrats, compétente également pour l’ensemble du territoire luxembourgeois. Contrairement à l’ordre judiciaire, l’ordre administratif ne dispose pas d’un troisième degré juridictionnel, en ce qu’il n’existe pas au sein de cet ordre une Cour de cassation voire un Conseil d’Etat, statuant en matière de cassation.

Les deux juridictions statuent chaque fois en fait et en droit, de sorte qu’il n’existe aucune différence quant aux attributions à exercer par chaque instance.

Sous ce régime actuellement en vigueur, la Cour administrative constitue la juridiction administrative suprême du Grand-Duché de Luxembourg. Ainsi, la Cour administrative procède à un réexamen du litige en fait et en droit. Contrairement au régime ayant préexisté à la création des nouvelles juridictions administratives, les membres des juridictions sont exclusivement des juges professionnels siégeant en principe en chambres composées de trois magistrats, à l’exception des ordonnances rendues par le tribunal en matière de référé administratif et une nouvelle procédure accélérée pour les demandes de protection internationale ayant été déclarées manifestement infondées par le gouvernement, procédures qui consacrent le principe du juge unique. L’appel constitue ainsi une garantie de bonne justice, en ce qu’il permet de corriger des erreurs – en fait et en droit – et oblige les juges de premier degré à motiver convenablement leurs décisions. Il est donc important de retenir que le juge administratif d’appel ne constitue pas, en droit luxembourgeois, un juge de cassation.

Il est également important de relever qu’en application de l’article 95, paragraphe 2 de la Constitution, la Cour supérieure de justice, à savoir la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, est compétente pour connaître des conflits d’attribution. Cette disposition date d’une époque où il n’existait pas d’ordre juridictionnel administratif. Il semble que désormais la Cour supérieure de justice, relevant exclusivement de l’ordre judiciaire, soit compétente non seulement pour les conflits des juridictions à l’intérieur de l’ordre judiciaire, mais également pour les conflits pouvant surgir entre les juridictions judiciaires et administratives. Il s’agit en l’espèce d’une anomalie qui pourrait le cas échéant être réparée par le projet de création d’une Cour suprême, auquel nous reviendrons tout à l’heure.

Il échet encore de conclure du système actuellement en place qu’une vraie unité de jurisprudence s’avère être difficile du fait qu’il n’existe pas de juridiction suprême se trouvant à la tête à la fois des juridictions de l’ordre judiciaire et de celles de l’ordre administratif. En effet, la Cour administrative constituant la juridiction suprême de l’ordre administratif, en cas de contrariété de jurisprudences entre la Cour de cassation, de l’ordre judiciaire, et la Cour administrative – événement heureusement rare, tellement les matières dans lesquelles ces deux juridictions sont compétentes sont différentes – aucune juridiction n’est compétente pour assurer l’unité. Ensuite, il y a un risque de contrariété entre la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, d’une part, et respectivement celles de la Cour de cassation et de la Cour administrative, d’autre part, comme cela a pu être constaté dans la pratique.

Pour revenir à la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême, au sein de l’ordre administratif, on peut s’interroger sur l’objet et le but de cette fonction, du fait qu’il n’existe qu’un seul tribunal administratif au Luxembourg, dont les décisions peuvent être déférées, en appel, à ladite cour. Il est vrai que ledit tribunal administratif est actuellement composé de 4 chambres différentes dont les décisions sont évidemment susceptibles de se contredire. Ainsi, la seule fonction régulatrice se résumerait à dégager, des jurisprudences divergentes, une solution commune qui devrait par la suite s’imposer à l’ensemble des chambres du tribunal.

Comme la Cour administrative prévoit en son sein également des chambres de compositions différentes, le risque que lesdites chambres se contredisent en son sein même n’est pas non plus exclu. A défaut d’une disposition légale prévoyant une composition formée par un nombre plus élevé de magistrats voire la possibilité de statuer en assemblée plénière ou en chambres réunies, il est difficile, à l’heure actuelle, pour la Cour administrative d’assurer sa fonction régulatrice dans de bonnes conditions.

On peut partant constater de ce qui précède que la fonction régulatrice de la juridiction administrative suprême luxembourgeoise est assez modeste et même imparfaite. Il n’en reste pas moins que la Cour administrative peut faire assurer le respect de la loi, au cas où celle-ci se trouve être violée, en redressant l’erreur commise, en garantissant ainsi la qualité de la justice rendue par les juges du fond.

Afin de palier l’imperfection relevée ci-avant, on pourrait imaginer que la Cour administrative pourrait introduire en son sein un mécanisme de détection des divergences de jurisprudences constatées non seulement au niveau du tribunal mais également en son sein, en essayant de résoudre celles-ci par la création de chambres mixtes dont la solution s’imposerait ainsi non seulement à toutes les chambres du tribunal administratif mais également à l’ensemble de la Cour suprême. Toutefois, une telle mesure nécessiterait une modification législative qui ne se trouve pas à l’ordre du jour à l’heure actuelle, mais qui aurait toutefois le mérite de pouvoir assurer ainsi l’unité de la jurisprudence administrative au Luxembourg. Reste toutefois la question de savoir quelle solution il y aurait lieu de prévoir au cas où les juridictions inférieures ne respecteraient pas la solution retenue par la juridiction suprême, qui constitue toutefois un problème courant au sujet duquel il n’existe probablement aucune solution parfaite.

Enfin, il échet de relever que lors d’une délibération en date du 12 novembre 2009, la Cour administrative a tenté d’exercer une fonction régulatrice, non légalement prévue, ayant pour objet d’obliger les juges de la première instance à rendre leurs décisions dans un délai de 5 semaines à partir de la prise en délibéré des affaires, et ceci afin d’accélérer l’évacuation de celles-ci, en l’absence d’un délai du prononcé fixé, à l’heure actuelle, par une quelconque disposition légale ou réglementaire. A part le fait que se pose la question de savoir si la juridiction administrative suprême était en droit de prendre une telle disposition d’ordre général, en l’absence de base légale, il échet de constater que malgré le fait que le tribunal n’a pas toujours pu suivre l’invitation plus que chaleureuse lui adressée ainsi par les juges suprêmes, aucune conséquence directe n’en a été tirée, une telle manière de procéder par la Cour administrative soulevant également la question de l’indépendance du juge et celle de la compétence du président du tribunal administratif de gérer au mieux sa juridiction dans le sens d’une bonne administration de la justice.

J’en viens maintenant à quelques remarques critiques, ainsi qu’à l’exposé de quelques attentes de la part d’un juge de première instance vis-à-vis de l’exercice de la fonction régulatrice à exercer par sa juridiction suprême.

B) Réflexions et attentes du juge de première instance quant à la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême

Je ne suis pas sûr si les juges de la Cour administrative suivent le souhait exprimé par l’un de leurs anciens présidents suivant lequel « les juges du second degré feraient bien d’aborder avec la plus grande modestie les solutions dégagées par leurs collègues de première instance dont ils ont à évaluer les raisonnements ». Quoi qu’il en soit, il importe pour les juges du deuxième et dernier degré, tel que c’est le cas au Luxembourg, non seulement de trouver la solution la plus juste par rapport au litige leur soumis, mais également de convaincre les juges de première instance du bien-fondé de leur argumentation, surtout au cas où celle-ci se trouve être contraire à celle développée par les juges du premier degré. Ainsi, les juges suprêmes assument également un rôle pédagogique, en ce qu’ils devraient être amenés à répondre de manière claire et argumentée à la motivation utilisée par les premiers juges à l’appui de leur décision, afin que ces derniers puissent non seulement suivre l’argumentation contraire à la leur pour en comprendre la teneur, mais également se laisser convaincre par la solution qu’ils devraient dorénavant adopter dans le cadre des litiges qui leur seront soumis à l’avenir. Ceci est d’autant plus important dans les hypothèses dans lesquelles les juges de première instance ont longuement motivé leur jugement pour aboutir à une solution, et leur frustration est d’autant plus grande si, au niveau de la Cour suprême, ils se voient réformer leur jugement plutôt par affirmation péremptoire que par argumentation. Au niveau d’une Cour suprême, il existe en effet le risque, au fil des années, de s’habituer à avoir toujours raison, et de procéder partant par affirmation, ce qui est d’autant plus dangereux dans un pays de la taille du Luxembourg où il existe peu ou pas de doctrine, de sorte qu’également les décisions de la Cour suprême ne se trouvent plus contestées par la suite, de sorte qu’il manque l’effet « miroir » qui permettrait aux juges suprêmes de reconsidérer leurs décisions, au moins à un niveau purement intellectuel, pour, le cas échéant, ajuster à l’avenir la solution qu’ils estimaient définitive auparavant. Ce qui est vrai pour le juge de première instance est également vrai pour le justiciable qui doit avoir le sentiment que justice a été rendue, de sorte qu’également au niveau de la dernière instance de l’ordre juridictionnel, il existe une nécessité voire une obligation de procéder par une motivation complète et compréhensible. En outre, comme toute vérité juridique est toujours relative, et afin d’assurer la prévisibilité de la jurisprudence en assurant également la sécurité juridique, il importe que les solutions retenues au niveau de la Cour administrative suprême soient convaincantes et puissent être maintenues dans la durée, afin que les juges de première instance disposent ainsi de lignes directrices par rapport auxquelles ils peuvent s’orienter dans le cadre des litiges qui leur seront soumis. Il en va également de la qualité de la jurisprudence, le tout dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Il échet dans ce contexte de relever un exemple assez caractéristique d’il y a quelques années, à une époque où le tribunal n’était composé que de trois chambres, qui avaient essayé de résister à une jurisprudence antérieure de la Cour administrative, en matière de procédure administrative non contentieuse et portant plus particulièrement sur la motivation des décisions administratives, avec laquelle les membres de l’époque du tribunal n’étaient pas d’accord. Ainsi, dans un laps de temps de quelques semaines, les trois chambres, sur base d’ailleurs d’une motivation largement similaire, et très détaillée, avaient essayé de faire comprendre à leur juridiction suprême les motifs pour lesquels elles ne pouvaient plus marquer leur accord avec une jurisprudence d’ailleurs assez constante des années antérieures de la Cour administrative en la matière. Celle-ci, sur appels lui adressés à l’encontre des jugements du tribunal, a procédé par affirmation, sans rentrer dans le détail de l’argumentation développée sur de multiples pages dans les jugements afférents. La Cour administrative suprême a ainsi statué par voie d’autorité, en exerçant, il est vrai, sa fonction régulatrice, mais sans essayer de convaincre les premiers juges de la justesse de son raisonnement, en essayant d’exposer des arguments plus forts que ceux utilisés par les premiers juges pour aboutir à leur solution. Une telle manière de procéder ne peut qu’aboutir à des frustrations et incompréhensions au niveau de la première instance qui, toutefois, dans le cas d’espèce, s’est résignée à « obéir » en reprenant son ancienne jurisprudence avant sa « révolution » à l’égard de la Cour administrative.

Une situation similaire s’est présentée il y a quelques années dans le cadre d’un litige ayant eu pour objet de déterminer, en matière de protection internationale, si le Kosovo était à considérer comme constituant un pays d’origine sûr, litige à l’aboutissement duquel une chambre du tribunal était arrivée à la conclusion, après de très nombreuses pages d’argumentations et de développements, que tel n’était pas le cas, la Cour, sur appel, s’étant contentée à procéder par voie d’affirmation générale et abstraite pour contredire les conclusions du tribunal, sans rentrer dans les détails de celles-ci. Il est évident qu’en procédant de la sorte, la juridiction suprême n’a pas exercé sa fonction régulatrice de manière satisfaisante, ni pour les parties à l’instance ni pour la juridiction inférieure. Il est vrai que les approches ainsi adoptées par la juridiction suprême dépendent toujours des ambitions et vues de ses membres et peut également évoluer au fil du temps suivant la composition de cette juridiction. Il n’en reste pas moins qu’il échet d’insister sur l’importance d’une bonne motivation des décisions juridictionnelles, qu’elles soient de première ou de dernière instance, ceci constituant le seul garant de la légitimité du pouvoir juridictionnel, celui-ci ne s’exerçant plus par la grâce de Dieu.

J’en viens maintenant à un projet de réforme discuté depuis quelques années quant à la création d’une Cour suprême destinée à chapoter tant l’ordre judiciaire que l’ordre administratif.

III. Un projet de réforme en cours: La création d’une Cour suprême

A) Le contenu du projet de réforme

Comme il a été vu ci-avant, il n’existe pas, au sein de l’ordre administratif, un troisième degré juridictionnel, c’est-à-dire il n’existe pas de procédure de cassation en matière administrative. Ainsi, afin d’assurer un parallélisme des formes avec les matières civile, commerciale et pénale, qui disposent d’une procédure de cassation auprès de la Cour de cassation, reprise d’ailleurs du modèle français, considéré comme étant « prestigieux » et ce, non pas de manière volontaire, mais de manière forcée, puisqu’au moment de son introduction, le Luxembourg faisait partie de la France, en tant que département des Forêts, le système ayant, il est vrai, été maintenu d’une manière volontaire par la suite, en raison d’une fidélité au moins intellectuelle au modèle français d’une cour suprême au Luxembourg, certains arrêts de ladite Cour de cassation luxembourgeoise parlant d’ailleurs de « Cour régulatrice », n’exerçant cette fonction que vis-à-vis d’une seule Cour d’appel compétente pour l’intégralité du territoire luxembourgeois. Alors que le manque ainsi constaté au sein de l’ordre administratif aurait tout aussi bien pu être réparé par le fait d’enlever la Cour de cassation de l’ordre judiciaire justement en raison de ce que la fonction régulatrice exercée par elle aurait pu être remplacée par un système interne à la Cour d’appel, par le biais de chambres mixtes voire de la possibilité d’y réunir une assemblée plénière, et comme il est toujours difficile d’enlever une institution prestigieuse dans quelque domaine que ce soit, il semble être préféré, au niveau politique, et ceci aussi afin de ne heurter personne, d’introduire un troisième degré de juridiction au sein de l’ordre administratif, compétent également pour l’ordre judiciaire, en remplacement de l’actuelle Cour de cassation, afin de permettre également l’annulation des arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions administratives, en cas de contradiction à la loi ou de violation des formes. Il s’agirait ainsi de créer un organe qui n’aurait que des compétences de cassation, se résumant aux seules questions de droit, alors que l’actuelle Cour administrative suprême, statuant en dernière instance, contrôle tant les questions de droit que de fait.

Ainsi, la Cour suprême projetée aurait des fonctions largement similaires à celles exercées par la Cour de cassation à l’heure actuelle. Quant à sa composition, il est prévu d’y faire nommer 7 conseillers choisis parmi les magistrats de l’ordre judiciaire et 2 conseillers à choisir au sein de l’ordre administratif, de sorte qu’il ne serait pas possible de composer une chambre à trois juges spécialisée en droit administratif, ce qui pourrait être considéré comme étant l’un des points faibles dudit projet. Cette Cour suprême se verrait également attribuer des compétences en matière de règlement des conflits d’attribution et de règlement de juges, pour pallier la faiblesse du régime actuel, tel que relevé ci-avant, en reprenant également les compétences actuelles de la Cour constitutionnelle qui serait alors vouée à la disparition. Ce projet constituerait une réforme majeure du système juridictionnel luxembourgeois, en prévoyant une organisation judiciaire plus cohérente, lisible et compréhensible, de nature à éviter, tel que cela pourrait être le cas à l’heure actuelle, une contrariété des jurisprudences de la Cour administrative et de la Cour de cassation, les cas de contrariétés de jurisprudences étant, comme il vient d’être relevé ci-avant, toutefois très rares, du fait que les matières traitées par les deux ordres juridictionnels sont quand même très différentes. L’institution d’une Cour suprême permettrait également de pallier les contrariétés de jurisprudences entre la Cour constitutionnelle, d’une part, et les Cours de cassation et administrative, d’autre part. Enfin, au lieu de créer une juridiction de cassation séparée pour l’ordre administratif, la taille réduite du pays commanderait, d’après les auteurs du projet, la création d’une juridiction suprême unique pour les deux ordres de juridiction et ceci dans un sens d’efficacité et d’économie de moyens budgétaires.

Le but déclaré de ce projet de réforme serait d’assurer une unité effective de la jurisprudence, en reléguant ainsi la Cour administrative actuelle en tant que simple juridiction d’appel, lui enlevant ainsi la qualification de juridiction administrative suprême.

Les juridictions administratives ne semblent toutefois pas être très enthousiastes vis-à-vis de cette réforme et elles ont fait parvenir leurs critiques au gouvernement au cours de l’élaboration du projet de réforme, qui n’est toujours pas déposé au parlement.

B) Des réflexions critiques de la part des juridictions administratives par rapport au projet de réforme ayant pour objet la création d’une Cour suprême

Les juridictions administratives mettent en doute la nécessité de créer voire de maintenir une instance de cassation au sein des ordres juridictionnels, au vu de la taille du pays et du fait que chaque ordre juridictionnel n’a qu’une seule instance d’appel, de sorte que la fonction régulatrice d’une telle Cour suprême serait assez réduite. En outre, le fait de rajouter une troisième instance juridictionnelle au sein de l’ordre administratif serait de nature à rallonger les procédures, en ajoutant de fait un quatrième degré de contrôle, à la suite d’un premier contrôle de légalité qui serait déjà effectué par l’administration. Du fait de l’allongement considérable de la durée de la procédure administrative, il existerait un risque de paralysie de l’action administrative. Or, les autorités publiques auraient un intérêt à une évacuation rapide des litiges en droit administratif, afin de ne pas freiner l’action de l’administration et ceci afin de garantir la stabilité des décisions administratives, ainsi que la sécurité juridique dans le but de connaître rapidement la légalité voire le bien-fondé d’une décision administrative. L’instauration d’une troisième voie de recours serait ainsi de nature à rallonger les délais pour l’obtention d’une décision définitive, avec la réserve toutefois qu’en principe, les décisions administratives peuvent être exécutées pendant le cours de l’instance contentieuse, à l’exception des cas où, par une ordonnance de référé administratif, le sursis a été ordonné, ce qui serait de nature à avoir des conséquences encore plus graves pour l’administration.

Les juridictions administratives critiquent également le fait que la Cour suprême ne serait pas en mesure de disposer de magistrats en nombre suffisant spécialisés en droit administratif.

Il échet encore de relever le problème particulier que font apparaître les litiges à traiter suivant des procédures accélérées dans des délais très courts, concernant plus particulièrement les mesures de rétention administrative, voire les procédures accélérées en matière de protection internationale, alors que surtout en ce qui concerne ces dernières, les demandeurs de protection internationale auraient intérêt à introduire un pourvoi en cassation au vu de l’effet suspensif attaché à l’introduction de leur recours devant le tribunal administratif. En ce qui concerne les mesures de rétention administrative, la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation serait de nature à mettre la juridiction suprême en difficulté au vu des délais très courts dans lesquels une décision juridictionnelle définitive devrait être rendue. C’est ainsi que les juridictions administratives s’interrogent sur la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’instaurer un système de filtrage des pourvois en cassation pour faire face à un afflux de pourvois, ayant le cas échéant pour but un simple effet dilatoire surtout, comme il vient d’être indiqué ci-avant, en matière de protection internationale, de sorte qu’un tel système de filtrage permettrait d’écarter des pourvois manifestement irrecevables ou injustifiés.

En outre, comme le rôle de régulateur du droit appartiendrait ainsi à la Cour suprême, les juridictions inférieures, à savoir le tribunal administratif et la Cour administrative, devraient s’abstenir de statuer sur la même question juridique que celle qui a été soulevée devant ladite Cour suprême, tant que celle-ci n’a pas statué, de sorte à entraîner ainsi un délai d’attente de nature à rallonger le délai d’évacuation des dossiers. En outre, même au niveau de la Cour suprême, des divergences de jurisprudences seraient possibles, que ce soit au sein de la même chambre ou entre deux ou plusieurs chambres différentes, de sorte que la fonction régulatrice ne serait de toute façon pas évidente à exercer de manière satisfaisante.

Enfin, et en raison du fait que déjà à l’heure actuelle, le recrutement de juges constitue un grave problème au Luxembourg à défaut de candidats en nombre et en qualifications suffisantes, les juridictions administratives craignent que par le fait de créer la Cour suprême, deux magistrats chevronnés en droit administratif devraient nécessairement rejoindre celle-ci, de sorte que ces personnes manqueraient au sein des juridictions administratives, en enlevant ainsi à celles-ci des compétences et expériences professionnelles recherchées.

Au lieu de procéder par voie de création d’une Cour suprême, pour le moins en ce qui concerne l’ordre administratif, il serait peut-être plus efficace, et moins onéreux, de prévoir la possibilité de faire siéger des chambres réunies en assemblée générale plénière au sein de la Cour administrative actuelle, au cas où deux ou plusieurs chambres de celle-ci adopteraient des positions différentes au sujet d’une même question juridique.

Quoi qu’il en soit, le projet de création de la Cour suprême nécessite une modification de la Constitution dont une refonte globale est également en discussion depuis des années, de sorte qu’à l’heure actuelle, il est encore difficile d’apprécier dans quel sens cette réforme va s’orienter. Il est vrai que les barreaux des avocats semblent être en faveur de la mise en place d’une troisième voie de recours au sein de l’ordre administratif, afin de permettre ainsi l’annulation des arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions administratives en cas de contravention à la loi ou pour violation des formes, mais on peut s’interroger sur la question de savoir si ce souhait n’est pas pour le moins également motivé par la considération d’une augmentation du volume de travail rémunéré dont pourraient ainsi profiter les membres du barreau.

Après ce bref survol de l’évolution de la fonction régulatrice de la Cour administrative suprême au Luxembourg au fil du temps, j’en viens à quelques éléments de réflexion en guise de conclusion.

Conclusion

Permettez-moi tout d’abord d’insister sur l’importance des juridictions administratives qui sont le garant d’un Etat de droit et qui ont une importance primordiale afin de maintenir l’équilibre entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, afin d’assurer avec le rôle et la mission qui leur incombe, une séparation, et non pas une collaboration, des pouvoirs. Ainsi, il leur incombe de veiller au respect par le pouvoir exécutif de ses propres lois et règlementations, y compris les principes généraux du droit, les conventions internationales et le droit communautaire. Le rôle et la vigilance des juridictions administratives, également dans les Etats membres de l’Union européenne, sont d’autant plus importants au regard des évolutions récentes en Pologne, en Slovaquie et en Hongrie, sans parler de la Turquie qui semble également avoir le souhait de rejoindre l’Union européenne.

L’indépendance des juridictions administratives et la qualité ainsi que les hautes qualifications professionnelles exigées par ses membres sont le garant de l’Etat de droit. A l’heure actuelle, et ceci depuis quelques années, les juridictions sont également soumises aux contraintes liées à la productivité, à l’efficacité, au rendement, ainsi qu’à la compétitivité, quasiment au même titre que les entreprises privées, ce qui est de nature à menacer le système dans son ensemble, et ce au détriment de la qualité de la justice, de la formation des juges et de l’indépendance de la justice. S’il est vrai qu’évidemment les statistiques ont leur importance dans le cadre d’une bonne gestion d’une juridiction administrative, il faut toutefois s’opposer au « diktat » de celles-ci, en essayant de garder un équilibre sain entre les critères qualitatifs et quantitatifs de la production à assurer par nos juridictions. Ainsi, et pour revenir à la fonction régulatrice des Cours administratives suprêmes, il importe d’insister sur le fait qu’afin que ladite fonction puisse être assurée dans de bonnes conditions les juges chargés de cette haute mission doivent avoir le temps de réfléchir à une solution de nature à durer, au lieu de prendre le risque de devoir la changer rapidement. Il en va de la sécurité juridique et de la prévisibilité des solutions à adopter à l’avenir par les juridictions notamment administratives.

La fonction régulatrice d’une Cour administrative suprême doit également s’exercer au sein de dialogues à mettre en place non seulement au niveau horizontal mais également au niveau vertical. Ainsi, et en ce qui concerne plus particulièrement le niveau horizontal, ce dialogue doit s’instaurer avec non seulement d’autres Cours suprêmes d’autres pays notamment de l’Union européenne, ayant en commun un droit européen à appliquer de préférence de manière identique, mais également avec les juridictions supranationales, telles que la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, entraînant que ces hauts magistrats devraient se concerter le cas échéant dans un cadre informel afin d’assurer la cohérence de l’interprétation des textes et des normes qui leur sont communs et qu’ils sont amenés à appliquer dans le cadre de leur mission.

Le dialogue vertical, avec les juridictions inférieures, qui n’est évidemment pas parfait, fonctionne du fait que les juridictions inférieures devront en principe respecter les décisions « régulatrices » prises par la Cour suprême, et ce dialogue est d’autant plus fructueux, comme il a été relevé ci-avant, si la Cour suprême utilise une motivation claire et circonstanciée afin de convaincre les juges d’un tribunal inférieur du bien-fondé de leur argumentation, surtout si celle-ci aboutit à un résultat contraire à celui obtenu par les premiers juges.

C’est ainsi que, dans ce contexte, il échet de saluer les initiatives prises notamment par les associations internationales de magistrats dont l’AJAFIA, afin de permettre la rencontre de juges et leur échange sur des sujets de préoccupation qui leur sont communs, le tout dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et de la préservation de l’Etat de droit.

Je vous remercie de votre attention. 

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